Élaboration d'une norme de citation neutre pour la jurisprudence canadienne

 

Projet élaboré par le Comité ad hoc canadien pour l’élaboration d’un mode de
 citation neutre pour la jurisprudence

 

Sommaire

 

Le présent projet est motivé par la nécessité de frayer la voie au développement de nouveaux outils documentaires électroniques pour la communauté juridique canadienne.  L'existence d'une norme de citation neutre permettra de concevoir plus aisément des systèmes documentaires intégrant des composants provenant des divers fournisseurs d'information.  Cette norme permettra d'utiliser à leur plein potentiel les outils électroniques existants sans qu'il soit nécessaire d'attendre la disponibilité d'une version papier officielle.  Le projet contribuera enfin à consolider la nature publique de la jurisprudence canadienne.

 

Au plan technique et des activités à entreprendre, le projet s'impose, car pour qu'une norme de citation neutre se développe au Canada, il faut se charger d'en élaborer les détails et construire pour elle le réseau d'appuis nécessaire.  Autrement, 1e projet de norme demeurera un vœu pieux.  Il faut en particulier compléter la proposition de norme de façon à rendre son utilisation aisée par les différents tribunaux.

 

Au plan méthodologique, l'élaboration d'une norme nationale ne peut se construire que par l'élaboration d'un consensus.  La concertation des intervenants occupera donc une grande place dans les travaux du comité.  Pour rendre possible cette concertation, le comité doit disposer des moyens financiers et techniques qui lui permettront de produire une documentation et réaliser des consultations.  I1 faut donc prévoir la préparation de matériel explicatif et l'élaboration de propositions complètes reflétant continuellement l'état d'avancement de nos travaux.

 

L'obtention d'un support financier pour le projet permettra d'entreprendre sans délais de la réalisation des tâches qui viennent d'être indiquées.  I1 s'agira en quelque sorte de l'appui financier essentiel au démarrage du Comité et à son succès.  À moyen terme, le projet devrait faciliter le développement d'outils documentaires électroniques modernes pour les professions juridiques canadiennes.  Il devrait faciliter l'utilisation et la référence aux décisions judiciaires non encore publiées.  À plus long terme, un des effets du projet devrait être de contribuer à l'ouverture du marché canadien de l'information juridique. Notons enfin qu’une telle norme ne peut qu'améliorer la concurrence sur le marché et favoriser tant le développement de l'industrie de l'édition juridique que l'accès à coût raisonnable à d'excellents outils documentaires.


 

1.    Le problème

 

Le mode de citation de la jurisprudence s'appuie au Canada comme ailleurs sur la publication papier des décisions judiciaires.  Jusqu'à récemment, cette façon de faire posait peu de problèmes.  Cependant, avec l'apparition des médias de publication électroniques, plusieurs, comme l'American Bar Association (ABA), ont commencé à chercher d'autres moyens de référer à ces documents.  Diverses propositions ont été avancées.  Ces propositions partagent toutes une grande simplicité et toutes sont neutres tant face au médium, papier ou support électronique, que face aux publications particulières des éditeurs privés.  Le présent projet veut prendre avantage de l'ouverture perçue dans le monde juridique canadien pour permettre l'élaboration d'une norme neutre pour citer la jurisprudence canadienne.

 

Le mode de citation traditionnel des références juridiques prend appui sur les divers recueils imprimés.  Ces collections ont acquis au fil du temps un grand prestige et ont jusqu'à maintenant servi de façon admirable la communauté juridique canadienne.  Cependant, certains observent que du point de vue de l'auteur d'un texte, il serait souhaitable qu'il puisse citer une référence judiciaire sans devoir s'assurer, ou supposer, au préalable, que le lecteur aura accès à la même collection de recueils.  Du point de vue du lecteur, le recours à une citation neutre lui permettrait d’accéder à une référence précise sans devoir recourir nécessairement à l'ouvrage qu'a utilisé l'auteur. En fait, la solution cherchée devrait permettre que l'on cite la jurisprudence de la même façon que l'on cite la législation.  Référant à une loi, un auteur ne prendra pas la peine de préciser l'ouvrage particulier auquel il s'est référé, il lui suffira de mentionner le paragraphe, le texte législatif et son lecteur consultera l'ouvrage qu'il a sous la main.

 

La révision du mode traditionnel de citation devient impérieuse au moment où les médias électroniques prennent leur essor.  En effet, il est de plus en plus courant qu'une décision soit disponible d'un bout à l'autre du pays, par le biais d'Internet par exemple, plusieurs semaines ou même plusieurs mois avant qu'elle ne soit disponible dans un recueil de jurisprudence.  Pendant cet intervalle, le juriste n'a pas à sa disposition de mode de référence définitif.  Par ailleurs, à mesure que croit l'offre de produits d'informations électroniques pour les juristes, l'utilisation de ces outils à leur plein potentiel est freinée par l'absence de mode de citation officiel pour les textes électroniques, sauf généralement une référence bien indirecte au même document sur papier. Comme, de l'avis général, l'importance de moyens électroniques continuera de croître au cours des années à venir, il semble pertinent d'élaborer sans délais un mode de citation qui permette leur essor pour le meilleur intérêt de la communauté juridique canadienne.

 

Aux États-Unis, la même situation prévaut et son acuité est peut-être même plus grande.  En effet, dans de nombreuses juridictions, le mode de citation obligé comporte l'utilisation d'un produit commercial particulier.  L'entreprise qui édite ces recueils ayant valeur de référence officielle estime en plus détenir des droits intellectuels sur les références.  Il n'est pas étonnant que dans ce contexte d'importants groupes issus des milieux juridiques et d'ailleurs aient vu l'importance de briser le monopole en voie de s'installer dans la jurisprudence qui serait autrement du domaine public. L'ABA a mis sur pied un comité spécial sur le sujet.  Celui-ci a présenté ses conclusions en faveur d'un mode de référence neutre en août 1996.  Aujourd'hui, de nombreux États américains ont pris position en faveur de l'adoption des recommandations du comité de 1'ABA.  Cependant, l'adoption généralisée des propositions de l'ABA est laborieuse.  Aux États-Unis, les intérêts constitués autour du mode de citation actuel sont puissants et ils constituent un obstacle de taille à la mise en œuvre des propositions de 1'ABA.

 

Des démarches similaires ont également été entreprises en Australie dans un contexte peut-être plus semblable au nôtre.  L'Australasian Legal Information Institute (Austlii) a pris l'initiative de réunir le monde judiciaire et les éditeurs australiens pour élaborer un mode de citation neutre pour les besoins de l'Australie.  Les travaux de ce comité sont en cours.

 

2.    Vers une solution canadienne

 

Dans notre contexte canadien, le mode de citation proposé comporterait, outre l'intitulé de la décision, quatre éléments : (l) l'année de la publication, (2) un code d'identification pour chaque tribunal, (3) un numéro de séquence ainsi (4) qu'un numéro de paragraphe tous deux attribués par le tribunal.  Tous ces éléments pourraient être attribués par le tribunal.  Ainsi, une référence officielle et neutre serait disponible dès qu'un tribunal rend une décision.  À titre d'exemple, le résultat cherché peut être esquissé de la façon suivante :

 

 

Ainsi, en lieu et place de :

 R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8

Nous obtiendrions, la nouvelle référence :

 R. c. Evans, 1996 CSC 3, 116

Plus succinctement :

 1996 CSC 3, ¶ 16

et même, pour les fins de traitement informatisé :

 1996CSC3-16

 

Une référence parallèle aux outils documentaires traditionnels serait maintenue pour permettre une évolution progressive vers le nouveau mode de référence :

 

R. c. Evans, 1996 CSC 3, 116; [1996] 1 R.C.S., 8

 

Il faut enfin noter que les perspectives d'établir un mode de citation neutre semblent meilleures au Canada et en Australie que celles qui prévalent aux États-Unis.  En effet, les difficultés rencontrées aux États-Unis sont en autres liées au fait que des intérêts commerciaux très puissants sont heurtés par la proposition de 1'ABA.  I1 en va tout autrement au Canada où certains des principaux éditeurs ont reçu la proposition de façon favorable et d’autres l’estiment souhaitable mais difficilement réalisable.  Cet appui naissant à l’élaboration d’une norme de citation neutre a été particulièrement manifeste lors de la conférence “ La version officielle ” organisée à Toronto en novembre 1997 par l’Association canadienne de bibliothécaires de droit.  Un important consensus au sein des représentants des milieux judiciaires, gouvernementaux, commerciaux et académiques s’est exprimé autour du projet de norme esquissé.

 

De plus, au Canada, la moitié du chemin est en quelque sorte déjà franchie.  En effet, le Conseil canadien de la magistrature a adopté en 1996 une norme pour la préparation des jugements qui comporte déjà la numérotation des paragraphes.  Cet élément, essentiel pour référer de façon précise à un texte électronique, peut donc être considéré comme acquis chez nous.  De nombreux tribunaux canadiens, dont la Cour suprême du Canada, numérotent déjà les paragraphes de leurs décisions et presque tous les autres tribunaux de juridiction fédérale envisagent de le faire très prochainement.  Cette tâche consistant à numéroter les paragraphes semble pourtant être au cœur des réticences de certains milieux judiciaires américains.

 

Conscients de l'importance d'obtenir un très large consensus pour assurer le succès de l'élaboration et l'adoption d'une norme neutre commode et adéquate, nous travaillons à l'élaboration de cette proposition afin de permettre à tous les intéressés de la faire progresser harmonieusement.  Déjà, un comité ad hoc canadien a été mis sur pied pour développer cette  norme et la promouvoir.  Ce comité a été créé en août 1997 à Montréal.  La liste courante des  membres du comité est donnée à la section 6 de ce texte.  Par ailleurs, le comité entend élargir ses cadres pour intégrer des participants provenant de tout le pays.

 

 

3.        La raison d'être du projet

 

Le présent projet est motivé par la nécessité de frayer la voie au développement de nouveaux outils documentaires électroniques pour la communauté juridique canadienne.  L'existence d'une norme de citation neutre permettra de concevoir plus aisément des systèmes documentaires intégrant des composants provenant des divers fournisseurs d'information.  Cette norme permettra d'utiliser à leur plein potentiel les outils électroniques existants sans qu'il soit nécessaire d'attendre la disponibilité d'une version papier officielle. 

 

Le projet contribuera à consolider la nature publique de la jurisprudence canadienne.  En effet, au plan des politiques canadiennes en matière de documentation juridique, le projet contribuera puissamment à garantir que nul ne pourra s'approprier chez nous d'un mode officiel de citation à la jurisprudence.  De plus, la présence d'un mode de citation neutre et officiel favorisera l'ouverture du marché des produits documentaires tout comme il devrait permettre le développement de produits moins coûteux, car personne n'y détiendra de monopole et tous les acteurs pourront se concurrencer.

 

Le problème technique soulevé, la non-disponibilité d'un mode de référence pour les documents  non encore publiés sur papier, est bien réel.  Il est tellement réel que les éditeurs actifs en documentation juridique élaborent actuellement diverses solutions pour que leurs produits électroniques actuellement distribués puissent être cités.  Nous estimons qu'une norme élaborée rapidement arriverait à point.  En effet, dans quelques années, des solutions particulières auront été élaborées et il deviendra beaucoup plus difficile de voir adopter un modèle unifié et cohérent.

 

Au plan technique et des activités à entreprendre, le projet présenté s'impose, car pour voir l'idée d'une norme de citation neutre à la jurisprudence se réaliser au Canada, quelqu'un doit se mettre au travail pour en élaborer les détails et construire le réseau d'appuis sans lequel une telle norme demeurera un vœu pieux.  En particulier, il nous faut élaborer un cadre de désignation pour l'ensemble des tribunaux canadiens.  À cet égard, il nous faut tracer les lignes directrices qui pourraient permettre à chacune des juridictions canadiennes de procéder au choix des désignations qui lui sont propres.

 

Il faut également compléter la proposition de norme de façon à rendre son utilisation aisée par les différentes cours et tribunaux.  Il faut, à ce titre, proposer des solutions pour les tribunaux composites, ceux comportant des chambres particulières ou de nombreux registres.  Il faut aussi élaborer un cadre adéquat pour que des éléments puissent être ajoutés à la citation pour lui donner la même puissance descriptive que les modes traditionnels.

 

Il faut enfin et surtout établir des contacts suivis avec les différents intervenants provenant de la pratique, de la gestion judiciaire ainsi que de la magistrature de façon à s'assurer que toutes les informations susceptibles d'améliorer la proposition soient reçues et que tous les partenariats potentiels se réalisent.

 

4.   La méthodologie

 

L'élaboration de la norme s'appuiera sur les prémisses suivantes.  La norme produite doit permettre d'exprimer de façon cohérente l'ensemble des décisions des tribunaux canadiens.  Elle doit permettre une gestion décentralisée des dénominations des tribunaux à l'intérieur de chacune des juridictions.  Ces éléments centraux et obligatoires devront être parfaitement définis.  Ils seront éventuellement complétés des éléments optionnels permettant d'exprimer l'ensemble des informations véhiculées par les mécanismes de citation traditionnels.  Enfin, un guide d'utilisation à l'intention des tribunaux sera préparé afin de soutenir l'attribution des références neutres par les tribunaux canadiens.

 

Au plan méthodologique, il apparaît évident que l'élaboration d'une norme nationale ne peut se construire que par l'élaboration d’un consensus.  La concertation des intervenants occupera donc une grande place dans sa construction.  Pour rendre possible cette concertation, un comité a été mis sur pied à l'été 1997, le Comité ad hoc canadien pour l'élaboration d'un mode de citation neutre (C3N).  Ce comité doit disposer des ressources techniques qui lui permettent de produire une documentation et réaliser des consultations. Il lui faut prévoir la préparation de matériel explicatif et bien sûr l'élaboration de propositions complètes reflétant continuellement l'état d'avancement de ses travaux.  A cette fin, tous les documents du comité seront disponibles dans les deux langues officielles sur un site Web.

 

Trois tâches peuvent être particulièrement distinguées :

 

·        L'élaboration d'un système de désignation des tribunaux canadiens.

 

·        L'élaboration du cadre général des citations neutres, l'ensemble des éléments et leur ordonnancement autour des désignations des tribunaux.  La structure retenue devra permettre l'adjonction d'éléments optionnels, comme l'intégration au sein d'une éventuelle norme internationale et l'ajout d'informations propres à rendre les citations plus accessibles aux citoyens et aux juristes étrangers.

 

·        L'organisation d'une coordination des relations avec les organismes intéressés.

 

 

5.    Incidences du projet

 

A moyen terme, le projet devrait faciliter le développement d'outils documentaires électroniques modernes pour les professions juridiques canadiennes.  Il devrait faciliter l'utilisation et la référence aux décisions judiciaires non encore publiées.

 

À plus long terme, un des effets du projet devrait être de contribuer à l'ouverture du marché canadien de l'information juridique.  Une telle situation ne peut qu'améliorer la concurrence sur le marché et favoriser tant le développement de l'industrie de l'édition juridique que l'accès à coût raisonnable à d'excellents outils documentaires.

 

 

6.            Le Comité ad hoc canadien pour I 'élaboration d’un mode de citation neutre pour la jurisprudence

 

Le Comité ad hoc canadien pour l'élaboration d'un mode de citation neutre pour la jurisprudence a été formé le 11 août 1997 à Montréal.  Sa principale raison d'être est le développement d'un mode de citation neutre pour la jurisprudence canadienne.  Le comité entend également susciter le support à cette norme en émergence chez les organismes canadiens intéressés à la documentation juridique et à l'accès au droit.

 

Le Comité est actuellement constitué des personnes suivantes :

 

Mme Diane BOURQUE (Fédération des professions juridiques du Canada) ; M. Daniel BOYER (Association canadienne des bibliothèques de droit) ; M. Martin FELSKY (InTeger et conseiller technique du Comité informatique du Conseil canadien de la magistrature) ; M. Guy HUARD (LexUM, CRDP, U. de Montréal) ; Mme Chantal LAMARRE (les Éditions Yvon Blais Inc.) ; (Thompson Canada) ; M. Denis MARSHALL (Queen's University et conseiller technique du Comité informatique du Conseil canadien de la magistrature) ; M. Daniel POULIN (LexUM, CRDP, U. de Montréal) ; Mme Ruth RINTOUL (QL Systems).

 

Daniel POULIN y agit à titre de coordonateur.

 

 

D.P. ; G.H.

Montréal, février 1998