L'accès à l'information juridique au Québec : le présent et l'avenir

 Allocution de Me Louis Borgeat,

Sous-ministre associé aux affaires juridiques et législatives

Ministère de la Justice du Québec

 

(La version prononcée prévaut)

1. INTRODUCTION

En premier lieu, permettez-moi de féliciter ceux qui ont pris l'initiative d'organiser ce colloque, notamment monsieur Daniel Poulin, directeur de Lexum.

Il est de première importance que, sur un sujet aussi crucial que l'accès à l'information juridique, les intervenants concernés, autant les producteurs et les diffuseurs que les utilisateurs, puissent disposer d'un forum pour échanger sur les meilleurs moyens à prendre pour rendre accessible cette information et sur leur vision de l'avenir dans ce domaine. Un tel forum est d'autant plus nécessaire que nous sommes dans une ère où le développement de l'information en général prend un essor fulgurant. D'ailleurs, votre présence ici en aussi grand nombre manifeste votre intérêt pour la question.

Comme représentant du ministère de la Justice, mon propos portera davantage mais pas exclusivement sur la situation de l'accès aux décisions des tribunaux. En effet, avant d'aborder cette dernière question et pour permettre aux participants de mieux comprendre l'action gouvernementale en matière d'information juridique, j'aimerais, dans un premier temps, vous décrire succinctement le rôle des acteurs gouvernementaux en cette matière. Le ministère n'est pas seul à y agir et il collabore avec deux autres intervenants d'importance, l'Éditeur officiel du Québec et SOQUIJ.

2. LE RÔLE DES ACTEURS

2.1 Le ministère de la Justice

DGAJL

La responsabilité du ministère de la Justice ne se limite pas aux décisions judiciaires mais touche également les lois et les règlements. Je suis bien placé pour en parler parce que la " chaîne de production ", si je puis dire, en cette matière relève de ma responsabilité. C'est en effet à la Direction générale des affaires juridiques et législatives que se retrouvent les avocats et les notaires qui rédigent les lois et les règlements (ex. : l'inforoute). Nous assumons également la traduction des règlements, alors que l'Assemblée nationale assure celle de la législation.

Mais parlant ici d'accessibilité de l'information, c'est de refonte des lois et des règlements dont j'aimerais d'abord vous dire un mot. Cette opération permanente de grande envergure repose sur une équipe d'environ 10 personnes. Bon an mal an, près de 150 lois sont mises à jour parmi les 460 qui composent les lois refondues, en français et en anglais. Exceptionnellement en 1999, plus de 350 lois sont touchées en raison de la Loi sur l'harmonisation du Code civil. Pour les règlements, c'est environ 600 d'entre eux qui sont touchés chaque année parmi les 2 800 règlements tenus à jour par nos services.

Le Service de refonte des lois du ministère de la Justice a subi au cours des dernières années des transformations très importantes en ce qui touche ses processus et ses systèmes. Depuis quelques semaines maintenant, notre équipe peut compter sur un système informatique de dernière génération; ceux qui sont versés dans le domaine le comprendront aisément si je mentionne que c'est la norme SGML qui a été retenue pour son développement.

De façon très concrète, ce changement améliorera de beaucoup la productivité des refondeurs dans leurs travaux de mise à jour des lois et des règlements dans les deux langues, de même que dans la production des outils documentaires de référence soutenant ces travaux de refonte. Soulignons que la rapidité d'exécution de la refonte sera aussi améliorée et nous permettra de réduire grandement le délai de sortie de la refonte " papier ". Celle de la refonte électronique bénéficiera aussi des améliorations apportées puisque les règlements seront mis à jour régulièrement dans un délai d'au plus un mois après l'entrée en vigueur de la modification. Quant aux lois, elles seront mises à jour de façon continue et disponibles sur le site de l'Éditeur officiel. L'opération refonte des lois sera complétée après que la session en cours à l'Assemblée nationale sera terminée; en effet, la numérotation alphanumérique, par exemple, ne peut être changée avant que toutes les lois sessionnelles ne soient adoptées. Si la tendance se maintient, on prévoit que, le 15 février 2001, l'ensemble des lois, tant en français qu'en anglais, sera refondu au 1er avril 2000 et qu'en outre, les deux tiers d'entre elles seront à jour au 1er janvier 2001.

Les usagers seront à même de constater prochainement ces améliorations qui sont rendus accessibles par notre partenaire, l'Éditeur officiel du Québec.

DGSJ

Au ministère toujours, la Direction générale des services de justice est responsable du soutien à la magistrature et de la direction des palais de justice, incluant le maintien des greffes des tribunaux judiciaires relevant de la compétence du Québec. Pour assurer un meilleur fonctionnement du système d'emmagasinage (stockage) des jugements, cette direction a élaboré, il y a quelques années, un projet visant à mettre sur pied un entrepôt électronique des jugements. Cet entrepôt avait comme premier objectif, je le souligne, d'établir une base de données permettant aux juges d'une cour d'avoir accès à tous les jugements rendus par cette cour; il avait aussi comme autre objectif de faciliter la rédaction des jugements. Je reviendrai dans quelques minutes sur l'entrepôt de jugements.

2.2 L'Éditeur officiel

Un autre acteur important en matière d'information juridique au gouvernement est l'Éditeur officiel du Québec. Cette institution est établie en vertu de la Loi sur les services gouvernementaux aux ministères et organismes publics (L.R.Q. c. S-6.1) et relève de la responsabilité du ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, lequel, en vertu de la même loi, est le gestionnaire des droits d'auteur détenus par le gouvernement du Québec. Sous la marque de commerce Les Publications du Québec, l'Éditeur est responsable de l'impression et de la publication des documents officiels, par exemple des lois, des règlements et des décrets, mais il agit aussi, au nom du ministre, pour l'édition, la publication et la commercialisation des documents qui émanent du gouvernement.

Un protocole d'entente a été signé entre ce ministère et le ministère de la Justice en novembre 1999. En vertu de ce protocole, notre ministère coordonne le développement de l'information juridique gouvernementale sur le plan de la conformité et de l'intégrité des contenus juridiques émanant de l'État.

L'Éditeur officiel, en tant qu'éditeur général du gouvernement, s'est vu confier, en vertu de cette entente, le rôle d'éditeur et de diffuseur de la législation et de la réglementation sous toutes ses formes et sur tous ses supports. L'Éditeur maintient d'ailleurs un site Internet où sont disponibles gratuitement les lois et règlements du Québec tels que refondus chez nous.

2.3 SOQUIJ

En vertu de la même entente et conformément à la loi qui la créait en 1975, SOQUIJ est chargée du mandat d'éditer et de diffuser pour l'État les décisions judiciaires et administratives (incluant les résumés et les décisions) sous toutes ses formes et sur tous les supports. En d'autres termes, SOQUIJ a deux mandats distincts : diffuser les décisions judiciaires aux éditeurs privés, à la communauté juridique et au grand public et effectuer le traitement de la jurisprudence (banque AZIMUT) de façon à la rendre encore plus utile et plus accessible aux utilisateurs, plus particulièrement à la communauté juridique. Pour ce faire, SOQUIJ peut compter une équipe de 17 professionnels et 11 techniciens qui oeuvrent spécifiquement dans le secteur de l'information juridique. C'est une équipe que je découvre depuis deux ans dans mes fonctions et chez qui je constate beaucoup de dynamisme.

3. DIFFUSION DES DÉCISIONS JUDICIAIRES

Cela dit sur le rôle des intervenants en matière de diffusion de l'information juridique au gouvernement, je souhaiterais vous parler plus particulièrement des décisions judiciaires. De quoi parle-t-on lorsqu'on pense à la diffusion de ces décisions ?

D'abord, de la Cour d'appel, tribunal général d'appel pour tout le Québec à l'égard de toutes les causes et matières susceptibles d'appel en provenance de tous les tribunaux, à moins que la loi ne le prévoit autrement; cette cour rend environ 750 décisions motivées par an.

Ensuite, de la Cour supérieure, notre tribunal de droit commun, qui entend, en première instance, toute demande qu'une disposition de la loi n'a pas attribuée exclusivement à un autre tribunal. Elle exerce un pouvoir de surveillance et de contrôle sur les tribunaux relevant de la législature du Québec ainsi que sur les corps politiques et les corporations. Elle a compétence sur toute demande au-delà de 30 000,00 $. Elle exerce aussi des compétences en matière de faillite, de divorce ainsi qu'en matières criminelles. À la Cour supérieure, on parle annuellement d'environ 5 000 décisions motivées.

Finalement, de la Cour du Québec, laquelle a compétence en matière civile, criminelle et pénale. Elle traite aussi des questions relatives à la jeunesse. Elle entend les causes où la valeur en litige est inférieure à 30 000,00 $. Pour la Cour du Québec, il est question d'environ 9 000 décisions motivées chaque année.

Si on fait le total, on parle de près de 15 000 décisions représentant environ 250 000 pages annuellement.

3.1 Situations antérieures au jugement W & L.

Orientation

Avant que la Cour d'appel du Québec ne rende le 17 avril dernier sa décision concernant le droit d'accès de l'éditeur Wilson & Lafleur au texte intégral de l'ensemble des décisions des tribunaux québécois, une réflexion avait été amorcée par un groupe composé de représentants des différentes directions concernées du ministère de la Justice. Le but de cette réflexion était d'établir les principes directeurs de la diffusion de l'information juridique gouvernementale en matière de décisions judiciaires.

De cette réflexion, se sont dégagées trois orientations de base que nous mettrons en application au cours des années à venir.

La première, c'est que l'État se doit de jouer un rôle de premier plan dans la conservation de notre patrimoine juridique et que c'est à lui qu'incombe la responsabilité de l'accès à cette information.

La deuxième, c'est qu'en raison de sa prolifération et de son volume, l'information juridique ne peut être véritablement accessible que si elle est organisée, c'est-à-dire, si elle fait l'objet d'un traitement intellectuel. C'est pour mieux assurer cette organisation de l'information que le gouvernement a confié à SOQUIJ le mandat d'assurer le traitement et la diffusion des décisions des tribunaux selon des critères préétablis en vue de préserver la neutralité, la stabilité, la pérennité, l'intégrité et l'accessibilité à cette information.

La neutralité : que les décisions soient ou non favorables à l'un ou l'autre des acteurs ou des intérêts en jeu dans la vie d'une société démocratique, elles se doivent d'être publicisées.

La stabilité : il est nécessaire d'éviter que les fluctuations et les aléas économiques, par exemple, la possibilité de vente d'une entreprise, viennent mettre en jeu les objectifs fondamentaux de l'État face à l'information juridique, ces objectifs étant la conservation et la diffusion du droit québécois sur une base continue et permanente.

La pérennité : le droit civil constitue un caractère distinctif du Québec et au même titre que la langue française, il demeure vulnérable. La pérennité ou la sauvegarde du droit civil français en Amérique du Nord pourrait être menacée si les responsables de la diffusion jurisprudentielle n'étaient pas familiers et sensibles à ce régime de droit ainsi qu'à l'importance de son rayonnement.

L'intégrité : l'État, plus particulièrement le ministère de la Justice, est l'objet de pressions constantes et pressantes de la part de plusieurs intervenants désirant accéder à ses banques de renseignements. Il est donc nécessaire pour le gouvernement d'avoir une garantie quant au respect de l'intégrité du processus et de la protection des citoyens à cet égard.

L'accessibilité : la possibilité d'accéder aux sources de droit à des coûts abordables, sans égard à l'éloignement géographique et dans des délais raisonnables est une obligation immanente à un État de droit et elle en est indissociable.

La troisième et dernière orientation : c'est que la population en général doit avoir le plus vite possible un accès gratuit à l'ensemble des décisions judiciaires, sous réserve des disponibilités financières du gouvernement et du ministère et de l'existence d'un support informatique capable d'assurer cet accès de façon fiable et sécuritaire. À cet égard, SOQUIJ apparaissait de toute évidence comme l'organisme le plus compétent pour gérer un éventuel site Internet des jugements des tribunaux du Québec.

3.2 Les suites du jugement W & L.

Décision de ne pas porter le jugement en appel

Le jugement rendu par la Cour d'appel dans l'affaires Wilson & Lafleur a clarifié les choses en posant des principes novateurs avec lesquels le ministère est en accord. C'est d'ailleurs parce que la ministre de la Justice est convaincue que les décisions des tribunaux se doivent d'être diffusées largement et être accessibles sans frais à la population en général, qu'elle a pris la décision de ne pas porter cette décision en appel.

Négociation de SOQUIJ

Cette décision, rappelons-le, a fait droit à la demande de Wilson & Lafleur d'avoir accès à tous les jugements rendus par les tribunaux judiciaires du Québec, et ce, à leur coût réel de reproduction.

SOQUIJ, à titre de mandataire du gouvernement, dont le rôle à ce titre a d'ailleurs été confirmé par la Cour d'appel, a entrepris des négociations, principalement avec W. & L., afin d'établir les modalités de transmission de ces jugements aux éditeurs, fréquence d'envoi et support de transmission, par exemple. Quelques éditeurs en sont venus à un accord avec SOQUIJ pour la transmission de ces jugements.

Entente MJQ et MRCI sur le droit de commercialisation

Parallèlement aux discussions entre SOQUIJ et Wilson & Lafleur, le ministère de la Justice, pour sa part, a entrepris des démarches auprès du ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration lequel, rappelons le, est responsable de la gestion de l'ensemble des droits d'auteur pour le gouvernement du Québec, afin de conclure une entente sur les conditions qui seraient requises pour permettre aux éditeurs de commercialiser ces décisions.

L'Éditeur officiel, tenant compte du jugement rendu par la Cour d'appel et pour faciliter son application par SOQUIJ à l'égard des éditeurs privés, a consenti à libérer les droits de reproduction sur les décisions des tribunaux et à permettre aux éditeurs d'intégrer ces décisions dans leurs produits, étant entendu que le texte ainsi reproduit ne peut être considéré comme une version officielle et qu'il doit être reproduit en respectant son intégrité.

Cela dit des suites immédiates du jugement de la Cour d'appel à l'égard des éditeurs privés, qu'en est-il de la réalité de l'accès des décisions pour le public dans Internet ?

3.3 La disponibilité des décisions judiciaires québécoises

Et bien, il me fait grand plaisir de vous faire part du fait que SOQUIJ a terminé la mise sur pied d'un site Internet qui rendra accessibles gratuitement les décisions motivées de la Cour d'appel du Québec rendues depuis le 1er janvier 2000. Ce site est accessible à compter d'aujourd'hui. SOQUIJ fera de même ensuite pour les décisions du Tribunal du travail, on parle du mois de février 2001.

Pour les autres cours, SOQUIJ est tributaire du ministère de la Justice pour la transmission des jugements. Le site qu'elle mettra bientôt sur pied pour la Cour d'appel lui permettrait d'inclure les autres tribunaux judiciaires du Québec assez rapidement si le ministère était en mesure de lui fournir ces jugements de façon régulière et stable sur support informatique.

Le moyen envisagé pour transmettre ces jugements à SOQUIJ sur support informatique est l'entrepôt des jugements dont je vous parlais brièvement tout à l'heure. Or, le système éprouve actuellement certaines difficultés de stabilité et de performance, de sorte que l'implantation complète et fonctionnelle de cet entrepôt devra être reporté à une date qui, au moment où l'on se parle, n'est pas encore déterminée; on parle de 12 à 18 mois.

Pour palier à cette difficulté, le ministère examine s'il existe des solutions alternatives, temporaires et peu coûteuses, pour alimenter le site de SOQUIJ, ce qui permettrait de donner accès à l'ensemble des décisions des tribunaux du Québec ou à une majeure partie de ces décisions.

Ce site Internet de SOQUIJ permettra au Québec de rattraper les autres provinces en cette matière. Le gouvernement fédéral rend disponibles dans Internet les jugements de la Cour suprême et de la Cour fédérale, via le CRDP et Lexum. Il faut réaliser cependant qu'il s'agit d'un faible volume de décisions si on le compare à l'ensemble des décisions prises par les tribunaux de chacune des provinces, ce qui n'enlève rien à la valeur et à l'importance de ce site, particulièrement pour la communauté juridique.

Dans les provinces, les sites Internet se développent rapidement, mais seulement depuis quelques années. Plusieurs provinces sont bien avancées. La Colombie-Britannique a été la première à agir en rendant disponibles à compter de 1996 les décisions de ses deux principaux tribunaux, la Cour d'appel et la Cour suprême. La Saskatchewan donne accès gratuitement aux décisions de trois de ses tribunaux : la Cour d'appel, la Queen's Bench et la Cour provinciale. Tout récemment, l'Île du Prince Edouard s'est jointe à ce groupe en mettant en ligne ses jugements de la Cour d'appel, ceux de la Cour suprême étant disponibles depuis 1997. Mais toutes ne sont pas à ce stade. L'Alberta permet la consultation gratuite des jugements de la Cour d'Appel et de certaines décisions de la Cour provinciale, depuis 1998 et, finalement, l'Ontario a récemment donné accès à ses jugements de la Cour d'appel. Pour les autres provinces, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve, à notre connaissance, aucun site gratuit n'est actuellement disponible.

Malgré la lente diffusion des jugements des tribunaux du Québec, on doit constater que par la mise sur pied du site de SOQUIJ pour l'accès aux jugements de la Cour d'appel, le Québec améliore sa position relative parmi les provinces pour ce qui est de la diffusion gratuite des jugements.

L'objectif demeure cependant de rendre accessibles au public tous les jugements des tribunaux et nous continuerons à travailler dans ce sens dans la mesure des ressources disponibles. Le contexte financier n'est facile pour aucun ministère, ce qui nous oblige quelquefois à prévoir des échéanciers plus étirés que nous le souhaiterions.