Le droit de la télématique a connu des évolutions récentes en raison des réformes importantes intervenues depuis le 1deg. janvier 1991 dans le domaine des télécommunications.
En effet, d'une part, de nouvelles règles applicables à l'ensemble des acteurs économiques du secteur des télécommunications ont été mises en place par la loi du 29 décembre 199O sur la réglementation des télécommunications, qui a par ailleurs modifié plusieurs dispositions du droit de la communication audiovisuelle, d'autre part FRANCE TELECOM, partenaire obligé des fournisseurs de services télématiques en tant que service transporteur de ces services sur les réseaux, a changé de statut et n'est plus un service administratif de l'Etat mais un établissement public autonome, doté de la personnalité morale, dont les relations avec les fournisseurs de services télématiques relèvent désormais du droit commun (loi du 2 juillet 199O relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications). Enfin le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications a fait l'objet d'une réglementation spécifique (loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par voie de télécommunications).
Dans ces conditions, même si le régime juridique de la communication audiovisuelle applicable aux services télématiques n'a pas subi de modifications substantielles, ces différentes réformes ont eu naturellement des conséquences sur le droit de la télématique. En particulier, puisque les relations de FRANCE TELECOM avec les fournisseurs de services sont désormais régies par le droit privé et que les litiges auxquels elles donnent lieu sont portés devant les juridictions judiciaires, de nouveaux contrats ont été mis en place entre FRANCE TELECOM et les fournisseurs de services télématiques. Des difficultés contentieuses, jusqu'alors quasi inexistantes, se sont développées notamment dans le domaine des "kiosques teletel" et "audiotel" où FRANCE TELECOM n'assure pas seulement le transport des services mais aussi le recouvrement des recettes pour le compte des fournisseurs de services télématiques. Par ailleurs, le rôle de régulation de la télématique assumé par la commission de la télématique et le comité des kiosques télématiques et téléphoniques a été confié exclusivement au ministre chargé des télécommunications qui assure la tutelle de FRANCE TELECOM et n'appartient donc plus à l'exploitant public. Ainsi, les règles applicables aux différents intervenants dans le domaine de la télématique, à savoir l'autorité chargée de la réglementation, l'exploitant de réseaux et les fournisseurs de services télématiques ont été clarifiées.
Avant d'examiner quelles ont été les modifications apportées au droit de la télématique, il convient d'en rappeler le cadre légal et réglementaire général ainsi que le régime spécifique au système kiosque.
A titre d'illustration, un service télématique fournissant au public un catalogue de produits est un service de communication audiovisuelle; un service télématique permettant à l'utilisateur, à titre personnel, la prise de commande de produits et leur paiement est un service de correspondance privée.
I.1 Le régime de la communication audiovisuelle résulte de la loi du 3O septembre 1986 modifiée sur la liberté de communication. C'est un régime de liberté encadrée dont de nombreuses règles s'apparentent à celles du droit de la presse. Les décrets des 6 et 17 avril 1987 précisent les dispositions applicables aux services télématiques mis à disposition du public.
Les règles essentielles les concernant sont les suivantes:
Ils sont soumis à déclaration préalable auprès du
procureur de la république (la nécessité d'une
déclaration supplémentaire auprès du Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel ayant été supprimée par
la loi du 29 décembre 199O précitée).
Ils ont l'obligation d'avoir un directeur de publication, lequel sera responsable pénalement comme auteur principal en cas de crimes et délits prévus par le chapitre IV de la loi sur la presse (par exemple diffamation ou divulgation de fausses nouvelles), à condition toutefois que les messages incriminés aient fait l'objet d'une fixation préalable.
Le public doit être informé de la dénomination du fournisseur de service, de ses représentants légaux, du nom du directeur de publication et du responsable de rédaction, de la liste des publications qu'il édite et des services de communication audiovisuelle qu'il offre, du tarif applicable lorsque le service donne lieu à rémunération, enfin les messages publicitaires doivent être clairement présentés comme tels.
En cas d'atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne causée par la teneur d'un service télématique, cette dernière possède un droit de réponse auprès du directeur de publication concerné dans les huit jours suivant la diffusion du message. Cette réponse peut prendre la forme soit d'un message en réplique ou d'une correction, soit d'une suppression.
A la différence de l'édition imprimée, les services télématiques ne sont pas soumis à l'obligation du dépôt légal. Cependant le directeur de publication a l'obligation de conserver les messages pendant un délai de huit jours à compter de la date à laquelle ils ont cessé d'être mis à disposition du public.
Enfin l'anonymat des choix faits par les utilisateurs parmi les services et les programmes qui leur sont offerts doit être respecté.
I.2 Quant au régime de la correspondance privée, c'est le principe du secret qui prévaut. Ce principe qui existait déjà dans le code des P. & T. et dans le code pénal a clairement été confirmé par la loi du 10 juillet 1991 précitée. Cette dernière n'autorise que deux exceptions à ce principe: les interceptions ordonnées par l'autorité judiciaire et les interceptions de sécurité sous réserve de respecter les conditions fixées par la loi. En cas d'interceptions illicites, des sanctions pénales importantes y sont prévues, en particulier à l'encontre des agents de l'autorité publique, de France Telecom, des réseaux de télécommunications autorisés et des fournisseurs de services de télécommunications, y compris les services télématiques.
La condition pour que les fournisseurs de services accèdent à ce système est de conclure une convention avec FRANCE TELECOM.
Cette convention est une convention type qui a fait, à l'origine, l'objet de négociations et de consensus de la part des syndicats professionnels, au sein de la Commission de la télématique. Cette Commission qui relève du ministre chargé des télécommunications est en effet chargée d 'étudier le développement de la télématique télétel, de proposer des solutions et d'émettre des avis et rapports à son sujet au ministre.
L'originalité de cette convention réside dans le fait qu'elle contient un code de déontologie faisant partie intégrante du contrat. Les fournisseurs de services s'y engagent à respecter l'ensemble des règles applicables à la télématique, lesquelles figurent d'ailleurs expréssement dans le code, ainsi que des règles particulières, notamment quant à la promotion des services et quant à la surveillance des informations qui y sont mises à disposition du public.
Par ailleurs, des clauses de résiliation et de suspension tout à fait originales figurent dans ces conventions. En effet, en cas de manquement du fournisseur de service à ses obligations contractuelles, y compris déontologiques, la résiliation d'office ou la suspension de la convention ne peut intervenir de la part de FRANCE TELECOM qu'après avis du comité consultatif des kiosques télématiques et téléphoniques (CCKTT), sauf si le manquement résulte du défaut de paiement des factures, de l'emploi de matériel non agréé, du non respect des fonctions pour lesquelles ces matériels sont prévus ou encore si la décision est prise à l'invitation de l'autorité judiciaire. FRANCE TELECOM ne jouit donc pas d'une liberté contractuelle ordinaire pour faire cesser ou suspendre les conventions puisque l'intervention d'un organisme extérieur est préalablement nécessaire dans la plupart des cas.
Le CCKTT a été créé par le décret du 24 octobre 1987 modifié, qui en a fixé la composition et la mission. Ses membres sont nommés par arrêté du ministre chargé des télécommunications et comprennent principalement des représentants des fournisseurs de services, des centres serveurs, de l'administration et des utilisateurs (en particulier des associations familiales). FRANCE TELECOM n'en fait pas partie. Le CCKTT peut être saisi par l'un de ses membres ou par FRANCE TELECOM en cas de manquement d'un fournisseur de services à ses obligations contractuelles ou bien par un fournisseur de service auquel a été refusé le bénéfice du kiosque. Le CCKTT donne ses avis (ex : avis de résiliation, de suspension, de refus de codes, de mises en demeure, ...) à FRANCE TELECOM qui juridiquement est libre de les suivre ou non. En pratique, cependant, rares sont les cas où FRANCE TELECOM ne se range pas à l'avis du CCKTT, compte tenu de la force morale et politique qu'il représente.
III.1 En effet, l'article 25 de cette loi dispose que les relations de FRANCE TELECOM avec les fournisseurs de services sont désormais régies par le droit commun et que les litiges auxquels elles donnent lieu sont portées devant les juridictions judiciaires, à l'exception de ceux qui, par leur nature, relèvent de la juridiction administrative.
De plus, le décret du 29 décembre 1990 pris en application de cette loi soumet FRANCE TELECOM à un cahier des charges qui fixe l'ensemble de ses droits et obligations. L'article 12 de ce cahier des charges impose à FRANCE TELECOM de garantir la neutralité par rapport au contenu de l'information et l'égalité d'accès aux services offerts dans le cadre des dispositions du code des postes et télécommunications. Il lui impose également d'associer les représentants des professionnels concernés à l'étude de l'évolution des conditions techniques, commerciales et tarifaires du service d'accès sur ses réseaux.
III.2 Les anciens contrats administratifs conclus entre FRANCE TELECOM et les fournisseurs de services télématiques ont donc été remplacés pour faire place à de nouveaux contrats de droit commun.
En particulier, de nouvelles conventions kiosque audiotel (kiosque téléphonique au forfait et kiosque téléphonique à la durée *) ont été négociées avec les professionnels et de nombreuses clauses ont fait l'objet de modifications. C'est ainsi que leur durée n'est plus limitée à six mois renouvelables mais est indéterminée, passé un délai de six mois à l'échéance duquel le contrat peut être dénoncé. Les conditions d'accès, si souvent contestées, qui figuraient dans les anciennes conventions ont été supprimées, notamment celle qui consistait à réserver la fourniture de messageries télématiques aux professionnels de la presse, titulaires d'un numéro de commission paritaire des publications et agences de presse. En revanche, certaines catégories de services ont été interdits du kiosque audiotel : les services permettant l'échange simultané d'informations entre utilisateurs non identifiés de façon certaine, c'est-à-dire les messageries anonymes, auxquelles il a été ajouté, pour le kiosque téléphonique à la durée, les services permettant la diffusion d'histoires pour adultes, appelés communément services roses ainsi que les services d'annonces de rencontres entre personnes.
Quant au code de déontologie et aux clauses de résiliation et de suspension, ils n'ont pas été modifiés. C'est en effet au ministre chargé des télécommunications que ce rôle appartient désormais. Or, le code de déontologie n'a pas encore fait l'objet de réformes et le décret instituant le CCKTT est resté inchangé.
Quant aux conventions kiosque télétel, elles vont également être révisées et font actuellement l'objet de négociations entre FRANCE TELECOM et les professionnels. A la différence des conventions kiosque audiotel, elles devront être examinées au sein de la commission de la télématique dont la compétence existe en matière de télématique télétel mais n'a pas encore été entendue à la télématique audiotel.
III.3 Comme cela était prévisible, les litiges se sont développés devant les juridictions judiciaires, alors qu'auparavant les fournisseurs de service hésitaient à attaquer l'administration devant les juridictions administratives.
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* Le kiosque téléphonique au forfait a été
limité à la diffusion de messages d'une durée de 140
secondes maximum pour éviter les risques de débordements tels
qu'ils avaient été constatés sur le kiosque
télétel : le kiosque téléphonique à la
durée, quant à lui, concerne des services d'une durée
maximum de 20 minutes.
C'est surtout le principe de neutralité de FRANCE TELECOM au regard du contenu des services télématiques qui a été mis en cause devant les tribunaux, en particulier par les fournisseurs de services télématiques roses.
Ainsi, suite à des résiliations de ces services pour non respect des conventions kiosque, en particulier de l'engagement de ne pas porter atteinte aux bonnes moeurs et à l'image de FRANCE TELECOM, et après avis favorable du CCKTT, les fournisseurs de services ont contesté ces résiliations, arguant du fait que FRANCE TELECOM n'avait pas à s'immiscer dans le contenu des services télématiques.
A ce jour, le tribunal de grande instance a donné raison au fond à FRANCE TELECOM dans une première affaire, considérant qu'il y avait effectivement violation des engagements contractuels du fournisseur de services et que FRANCE TELECOM avait effectué la résiliation à bon droit et dans le respect de la procédure, c'est-à-dire après avis favorable du CCKTT (TGI PARIS : 15/10/1991).
En revanche, le tribunal de commerce s'est montré plutôt mal à l'aise dans trois affaires dont il avait été saisi en référé. Dans deux d'entre elles, il a donné finalement raison à FRANCE TELECOM (T.Com. PARIS : 14/2/1992 et confirmation par la Cour d'appel le 2/4/1991 ; T. Com. PARIS : 2/6/1992). Dans la troisième, en revanche, il lui a interdit de décâbler le service télématique tant que l'affaire ne serait pas jugée au fond (T.Com. PARIS : 3/2/1992). Ce jugement est attendu depuis plusieurs mois.
Il serait pourtant logique de ne pas contester à FRANCE TELECOM le droit de résilier des services sur le kiosque. En effet, les services télématiques ont toujours la possibilité d'accéder au réseau, hors système kiosque, et la liberté de communication n'est donc pas remise en cause. Par ailleurs, le système kiosque n'est pas un service de télécommunications mais un service de recouvrement et de reversement qui ne revêt pas un caractère obligatoire. Enfin, la résiliation des conventions en raison du contenu fait l'objet de garanties constituées par les avis du CCKTT et la procédure de résiliation demeure très lourde : en effet FRANCE TELECOM doit mettre en demeure les fournisseurs de services de se conformer à leurs obligations dans le délai mentionné dans la convention ; ce n'est que si la mise en conformité dans ce délai n'a pas eu lieu que FRANCE TELECOM saisit alors le CCKTT. Il faut alors attendre que ce dernier se réunisse, mensuellement en règle générale, pour qu'il formule ses avis. Ce n'est qu'après la notification écrite des avis à FRANCE TELECOM que la décision de résilier peut enfin être prise.
Il n'en demeure pas moins que FRANCE TELECOM estime que l'ordre public doit être garanti par le gouvernement ou bien par une autorité de contrôle indépendante et qu'il n'appartient pas à FRANCE TELECOM d'assumer un rôle de police dans le domaine de la télématique.
Il faut avouer que le juge pénal lui-même a eu quelques difficultés à sanctionner les fournisseurs de services télématiques roses, pour atteinte aux bonnes moeurs. Il aura fallu l'intervention de la Cour de Cassation pour que ces derniers soient reconnus coupables (Cas.Crim. : 15/11/1990). En revanche, la culpabilité des centres serveurs a été exclue. L'est également a fortiori celle de FRANCE TELECOM et c'est ce qui a été clairement affirmé par le juge pénal (Tribunal Correctionnel de DRAGUIGNAN : 15/5/1992).
Le ministre des finances a été lui aussi chargé de la question par la loi de finances rectificative pour 1989 modifiée qui soumet à une taxe fiscale de 50 % les services pornographiques qui font de la publicité. Le décret du 4 juillet 1991 pris en application de cette loi fait actuellement l'objet d'un recours en Conseil d'Etat de la part des fournisseurs de services. Seul, un arrêté du 7 janvier 1992 a fixé jusqu'à ce jour la liste de quelques services soumis à taxation.
III.4 La déontologie des fournisseurs de services télématiques n'est pas une question propre à la France.
En effet, en Grande-Bretagne, l'Office des télécommunications (OFTEL) a pris la décision d'interdire en télématique audiotel les "chatlines", c'est-à-dire les messageries entre utilisateurs, compte tenu des débordements auxquels elles avaient donné lieu. Par ailleurs, la Commission des communautés européennes s'est saisie du problème et étudie l'opportunité d'un code de déontologie communautaire applicable aux fournisseurs de service audiotel au sein de la DG XIII.
Dans le domaine de la télématique télétel, des conventions ont été mises en place au niveau international, tendant à prévenir les dérapages. C'est ainsi qu'entre opérateurs de réseaux, les conventions contiennent des clauses de sauvegarde, prévoyant notamment qu'en cas de plaintes répétées contre un service dans le pays où il est reçu, l'opérateur de réseau concerné s'engage à ne plus proposer ce service dans son offre commerciale.
Cette solution, qui n'a pas la prétention de régler les problèmes de conflits de lois et d'ordre public, offre l'avantage du pragmatisme et n'a pas suscité de difficultés particulières jusqu'à ce jour.
Il n'en demeure pas moins que le droit de la télématique, en raison des flux transfrontières auxquels elle donne lieu, est susceptible de faire à l'avenir l'objet d'une réglementation minimale non seulement au niveau communautaire mais aussi au niveau international.
MARIE-GAëLLE CHOISY