Avant-Propos
La disparition de l'écrit occasionné par l'EDI pose de nombreux juridiques. En particulier, on cite la difficulté de rapporter la preuve des transactions.
En reprenant l'analyse traditionnelle de la preuve selon le Code Civil français, on rencontre bien des difficultés à intégrer l'EDI. Le Code Civil a pourtant été réformé sur ce point en 1980 pour faire face à l'essort des technologies. Mais les notions d'informatique, d'ordinateur, de documents dématérialisés ou informatisés ne sont pas entrés dans le vénérable texte. Le nouveau code québecois qui entrera en application en 1993 semble plus en avance.
Le Code s'accroche à la notion d'écrit avec l'exigence d'un "original". Dans les seuls cas d'une impossibilité morale ou matérielle de produire l'original, on peut se replier sur la "copie fidèle et durable". Mais quid de l'EDI ? Une transaction EDI peut-elle être un original ou simplement une copie fidèle et durable, alors que la forme écrite n'a jamais existé ?
* Preuve et formalisme juridique
Certes cette question de l'administration de la preuve est toujours invoquée à propos de l'informatique. Mais l'EDI pose un problème juridique encore plus aigu : si les transactions électroniques dématérialisées de l'informatique et des télécommunications peuvent être des fichiers de texte ou des fichiers binaires, des fichiers de données, des logiciels, des fichiers graphiques, sonores ou de commande, les transactions de l'EDI sont -comme le nomme la normalisation UN/EDIFACT- des messages. Ces messages sont représentatifs de documents commerciaux. La dimension documentaire de l'EDI prend donc les devants.
Face à un document dématérialisé la problématique de la preuve est bien présente. Mais elle n'intervient qu'en aval en cas de conflit entre les partenaires en EDI devant le juge. La dimension documentaire oblige à considérer la forme de l'écrit en amont c.a.d. comme un élément indispensable à la formation du document. Faute de la forme écrite, certains documents n'existent pas selon le Droit. L'exemple parfait de cette problématique est le connaissement négociable du transport maritime sur lequel se penche la Commission Maritime Internationale. L'écrit est ici le support d'un droit de propriété ; faute d'écrit, il n'y a pas de document.
Heureusement les documents nécessitant un écrit sont en faible nombre dans le droit commercial. Cependant ce formalisme apparait dans les pays latins à d'autres occasions. Certains documents sont mi-commerciaux mi administratifs. La forme écrite est exigée comme on dit dans le droit français pour "sauvegarder les droits de l'administration".
* L'exemple significatif de la facture
On peut relever dans le droit français le cas de facture. La forme écrite demandée sert-elle à l'administration de la preuve ou est-elle un élément de formalisme juridique ? On constatera sur cet exemple que la facture concerne surtout les entreprises et l'administration fiscale et non les partenaires à l'EDI entre eux. D'une part, le fait générateur du paiement (la preuve) dans un contrat de vente n'est pas la délivrance de la facture, mais la remise de la chose. D'autre part, la facture n'est pas considérée comme écrit à fin de preuve : un ticket de caisse est écrit, pourtant il ne peut faire office de facture.
La forme écrite de la facture est en réalité un élément de formalisme exigée par l'administration. Si le document facture n'est pas conforme, l'administration ne refuse pas comme preuve, mais ne la reconnaît pas comme une pièce comptable et comme une "pièce justificative". La conséquence pour les entreprises françaises est la perte de la déductibilité de la Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA).
Néanmoins le besoin des entreprises d'aboutir à la reconnaissance juridique de la facture EDI dans le Droit français est grand.
On trouvera dans le texte ci-dessous la description du processus par lequel l'administration française autorise la facture EDI. On verra que si le formalisme juridique et administratif est satisfait, la preuve suivra d'elle-même : on pourra en effet produire à fin de preuve, le message électronique tel qu'il a été formé selon la Loi.
LE REMPLACEMENT DE L'ECRIT PAR UN MESSAGE ELECTRONIQUE :
LE CAS DE LA FACTURE
PREMIERE PARTIE
DE L'ECRIT A LA DEMATERIALISATION
Remplacer la facture traditionnelle par un message électronique, c'est échanger un formalisme par un autre : le formalisme de l'écrit par le formalisme des messages normalisés et structurés de l'EDI.
Dans cette partie, on parcours le cheminement qui va de la facture traditionnelle au dispositif juridique de dématérialisation. Le régime juridique de la facture est à préciser au regard de l'écrit (SECTION I). D'un autre côté, la normalisation mondiale de l'EDI, l'UN/EDIFACT, a préparé le successeur de la facture écrite, le message INVOIC (SECTION II).
SECTION I - LA BASE : LA FACTURE, DOCUMENT ECRIT
Pour la formation de certains documents, les textes juridiques exigent des formalités : la principale est l'exigence d'un écrit. L'écrit sert ainsi aussi bien pour la formation de certains documents que pour en administrer ultérieurement la preuve. A cet égard, la facture est un des documents au formalisme exigeant.
$1- La diversité des textes français applicables à la facture
Les règles de base en matière de régime juridique de la facture sont issues du droit commercial et en cas de lacunes, du droit civil. De plus, la facture a un régime administratif défini par les différents codes fiscaux, puis par le droit d'une Concurrence tournée vers la Liberté après quarante années de régime surveillé de contrôle des prix.
Sur un autre plan, on sait que l'instrument juridique privilégié du droit européen est la Directive communautaire. Dans cette optique, la facture et surtout son régime fiscal découle de Directives fiscales de la CEE.
Les textes applicables plus ou moins directement sont des plus généraux aux plus spécifiques :
- l'article 109 du Code de Commerce sur la dispense d'écrit en droit commercial (1) ;
- l'article 16 du Code de Commerce sur les règles de conservation et d'enregistrement ;
- les articles 286 et 289 du Code Général des Impôts, article 9 annexe III C.G.I.). L'article 286 fait obligation aux personnes assujetties de conserver les pièces justificatives des opérations qu'elles effectuent. Elles doivent être d'origine (286-3 al. 3);;
- l'article L 102 du livre des procédures fiscales et les articles L169 et L176 du Livre des Procédures fiscales ;
- l'article 3 du Décret n 83-1020 du 29 novembre 1983, relatif aux obligations comptables des commerçants et des sociétés ;
- L'Ordonnance du 1er décembre 1986 (2) a abrogé l'Ordonnance du 30 juin 1945 relative à la fixation autoritaire des prix des produits, pour rétablir la libre détermination des prix et introduire la concurrence sur le marché. Le régime documentaire de la facture est issu de l'article 33.
$2- Le régime juridique de la facture EDI : écrit et formalisme
La forme de la facture est composé de deux éléments : le premier est l'exigence d'un écrit ; le second est la présence de mentions obligatoires. Naturellement la présence et le contrôle de ces mentions est facilitée par la forme écrite du document.
A- La facture écrite
Pour suivre la forme precrite par l'article 33 de l'Ordonnance de 1986, la facture doit respecter une forme et un contenu impératifs : La facture doit être "rédigée". Elle est rédigée en deux exemplaires et une loi du 31 décembre 1975 (sur la protection de la langue française) précise "en langue française". Selon le Petit Robert (édition 1990), rédiger" signifie : écrire sous la forme définitive, selon la formule prescrite. Peut-on imaginer qu'une autre forme que l'écrit puisse correspondra à cette définition ?
Des formes particulières existent pour certaines activités, comme pour les travaux immobiliers et la pratique des "bons de remis" dans le transport par voie routière, ferrée, fluviale ou aérienne des produits dans un but de contrôle par l'administration fiscale. D'autres obligations légales par leurs modalités établissent plus directement le support papier de la facture. Ainsi en matière de matériel agricole, il est fait obligation de remettre à l'acheteur l'original du bon d'achat, de la note ou de la facture et de conserver pendant un an le double de chacun des documents (3).
1) Les mentions obligatoires
Les mentions obligatoires telles qu'elles découlent de l'article 33 de l'Ordonnance de 1986 combiné aux articles 289 et 95 de l'annexe III du Code Général des Impôts.
Toute facture doit respecter un contenu impératif. Elle doit reprendre :
- Le nom des parties ;
- La date de la vente ou de la prestation de service, qui vient remplacer la date d'établissement de la facture ;
- La quantité, la dénomination précise et le prix unitaire hors TVA des produits vendus ou des services rendus, le taux de TVA applicable et son montant ;
- Les rabais, remises et ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quelle que soit leur date de règlement.
D'autres textes fiscaux établissent des hypothèses de facturation qui doivent faire l'objet de mentions ou de présentations spécifiques du document, ainsi pour :
- la facturation d'une TVA étrangère,
-;la vente d'objets d'occasion,
-;les indications à porter des options exercées ou des autorisations administratives accordées :
+ paiement de TVA sur les livraisons de travaux immobiliers,
+;autorisation de paiement d'après les débits (4),
+ cas des déchets neufs d'industrie,
- travaux immobiliers pour le compte de particuliers (5),
- facturation en devises étrangères
Toute infraction est punie d'une amende de 5;000 à 100;000 F selon l'article 33 de l'Ordonnance, sans préjudice des sanctions de l'art. 282-7 et 283-3 du CGI pour la mention abusive de TVA et de l'art. 1740 ter et quater du CGI pour l'émission de facture de complaisance.
Sur les factures figurent également quelques indications purement commerciales. Ainsi selon le décret n 67-236 du 23 mars 1967 :
- toute personne physique ou morale immatriculée au registre du commerce et des sociétés doit indiquer son numéro d'immatriculation en tête de ses factures (article 72 du Décret n 84-406 du 30 mai 1984) ;
- les factures des sociétés commerciales doivent indiquer la dénomination sociale précédée ou suivie immédiatement et lisiblement des indications "Société à responsabilité limitée" pour les SARL, "société anonyme" ou SA pour les SA ou "sociétés en commandite par actions", ou enfin, "société en nom collectif" ou SNC pour les SNC. Ces mots sont suivis pour l'ensemble de ces sociétés par l'énonciation du capital social ;
- si c'est le cas, la mention "société en liquidation" doit apparaître sur la facture accompagnée du nom du ou des liquidateurs.
2) Les mentions non-obligatoires
Il faut dire quelques mots des mentions non-obligatoires, car on cite quelquefois la présence de signature ou de chiffres écrits en toutes lettres sur les factures.
En ce qui concerne la signature, il est important de noter qu'il n'existe aucune obligation de signer les factures, ce qui ôte déjà un souci aux utilisateurs. Car la signature pose la question de sa représentation sous forme électronique. Véhiculer sa forme graphique accroîtrait les problèmes techniques des messages qui sont, eux,sous mode caractère. A moins que de considérer que l'usage de services de télécommunications sécurisés (authentification garantie) vaut bien une signature.
Quant à la conversion des sommes en toutes lettres, il s'agit d'un point bien délicat, en vérité un cauchemar de programmeur, pour un intérêt bien faible. Quelle serait son utilité dans un contexte de commerce international aux langues différentes, écueil levé par l'utilisation des messages normalisés ?
On entend parfois que ces exigences sont le fait de certaines administrations. Il n'est que de rappeler le second alinéa de l'article 1 du Décret n. 58-1030 du 8 octobre 1958 relatif à l'arrêté des titres de payement et des pièces justificatives des dépenses de l'Etat :
"L'arrêté en lettres ou en chiffres ainsi que la signature par l'entrepreneur ou le fournisseur ne sont pas exigés sur les mémoires et factures établis par un procédé mécanographique lorsque le règlement est effectué par virement à un compte courant. "
$2- La diversité internationale en matière de facture
En ce qui concerne la seule facture, car chaque document connaît un formalisme particulier, les pays développés peuvent se répartir en deux catégories selon l'exigence d'un écrit ou la liberté de la forme. En distribuant les systèmes juridiques entre les deux branches de cette classification, force est de constater que la France appartient à la catégorie difficile.
- 1ère catégorie : pays au formalisme minimal.
Il n'existe aucune obligation notable dans la forme exigée pour la facture en Grande Bretagne et en Irlande, ni en Belgique et au Luxembourg, pas plus qu'au Danemark. La RFA connaît dans son Code Civil des dispositions sur la forme des documents, mais qui ne sont pas applicables à la facture. Dans la plupart de ces pays, la liberté des formes s'étend au fond. Il n'y a pas de contenu imposé aux Pays-Bas, alors qu'en Grèce, la facture doit contenir des données d'identification de l'émetteur requises par les textes fiscaux, comme le numéro du registre du commerce et le Numéro d'Identification fiscale. Dans certains pays, la délivrance de la facture est facultative : aux USA, il n'y a pas de facture obligatoire pour le commerce intérieur. On utilise
plutôt un "Advanced Shipping Note", sorte d'avis d'expédition sur la foi de laquelle on émet un ordre de paiement à la banque et un avis de paiement au fournisseur.
- 2ème catégorie : pays de formalisme écrit
En Italie, la facture devra être émise en deux exemplaires et conservées sur support papier. En France, la situation est mitigée puisque deux originaux doivent être établis, mais sans indication bien précise d'une forme écrite, ce qui a permis une analyse extensive de la part de la Direction Générale des Impôts (DGI, Ministère eds Finances), comme on le verra ci-dessous.
SECTION III - LE MESSAGE EDIFACT INVOIC
L'instance suprême de la normalisation de l'EDI, le WP4 de Genève, a travaillé très tôt sur la facture. Un message normalisé a été mis au point, INVOIC. La forme du message est naturellement électronique et non écrit, mais il est possible de rechercher dans sa structure, si les mentions obligatoires de la loi française sont présentes.
$1- L'UN/EDIFACT et le message INVOIC
Le message INVOIC pour la facture est désormais passé au statut 2 après un an d'expérimentation, c.a.d. qu'il est désormais opérationnel. INVOIC est un message EDI c.a.d. un ensemble de données qui sont groupées de manière logique en segments et qui servent à la transmission d'informations entre partenaires participant à un échange de données informatisées. Les messages se composent de segments spécifiques qui représentent une transaction commerciale (6).
Le message peut être utilisé pour les échanges commerciaux tant au niveau national qu'au niveau international. Il est fondé sur la pratique commerciale universelle et ne dépend pas du type d'activité commerciale ou industrielle. Il sera utilisé pour demander le paiement de biens et de services fournis dans des conditions fixées par accord entre le vendeur et l'acheteur. Grâce à l'emploi de données appropriées, les spécifications du message pourront s'appliquer aussi aux messages "avis de débit" et "avis de crédit".
Le message est conçu pour être utilisé dans différentes branches d'activité pour des communications intra et intersectorielles ainsi que dans le cadre de diverses applications pour des échanges tant nationaux qu'internationaux. Pour répondre à cette exigence, plusieurs segments de données et groupes de segments sont définis comme conditionnels.
$2- Le message INVOIC et les mentions obligatoires de la facture
En parcourant rapidement les segments du message, on vérifiera si les mentions obligatoires selon la loi française y trouvent bien une place.
Chaque message commence par un segment d'en-tête de message (UNH) et se termine par un segment de fin de message (UNT). Le type de message désignant le type d'opération commerciale est indiquée dans le segment d'en-tête de message (UNH), ici "INVOIC". Le message est constitué de 3 sections : d'abord une section d'en-tête comprenant divers segments, segments 1 à 6, puis une section détaillée groupe de segments 7 à 15, puis une section résumé groupe de segments 23-24
A - La section d'en-tête
Elle comprend divers segments :
- le groupe de segments 1 intègre les segments NAD obligation d'identifier le vendeur et l'acheteur. Il peut être complété par LOC, renseignements complémentaires sur les lieux précis, ayant un rapport avec la partie désignée dans le segment NAD. Sont également disponibles RFF (références), document (documents requis), CTA (contacts), FII (Coordonnées bancaires), DTA (Date/heure).
- Dans le groupe de segments 2, TRI-LOC TRI indique un type, une catégorie et un taux de taxe ou une exonération, applicables à l'ensemble de la facture.
- Dans le groupe 3, CUX-DTM indique les monnaies et dates / périodes de validité correspondante pour l'ensemble de la facture.
B- La section "détail"
C'est la section "détail" qui permet l'approche la plus fine des dispositions de l'Ordonnance de 1986. Les premières exigences de l'article 33 trouveront satisfaction dans le groupe de segments 7 qui contient les informations détaillées sur les articles faisant l'objet de la facture :
- Pour la dénomination, LIN Article, présente les indications détaillées sur le produit ou le service facturé (identification du produit, quantité facturée, prix).
- Le numéro de la commande est dans RFF Références.
- PIA Identification complémentaire du produit, est disponible pour une description complémentaire du produit, s'il y a lieu.
- Pour les produits qui ne peuvent être identifiés par un code de produit ou un numéro d'articles, IMD Description de l'article.
Des informations tarifaires complémentaires figurent dans le groupe de segments 12 : API donne des informations complémentaires sur le prix comme le type de transaction, la quantité, la date ou période, ou le montant. En complément dans la section résumé figure TMA le Montant total de la facture. Dans le groupe 23, les abattements et frais sont contenus dans les segments ALI, TRI et ACA, TXS Taxes, pour les totaux partiels soumis à divers types ou taux de taxes, VAL Evaluation indique la valeur des biens ou des services pour les besoins des douanes, assurances et transport.
En poursuivant la lecture de l'article 33, on rencontre à titre d'exigences :
- Les rabais, remises et ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quelle que soit leur date de règlement.
- Le groupe de segments 11 indique les abattements et frais relatifs à l'article facturé, dont ALC Abattements et frais, TRI Informations d'ordre fiscal avec le type, la catégorie, le taux de base ou l'exonération applicables.
Au total, l'UNSM peut se rapporter à des articles ou services faisant l'objet d'une ou plusieurs commandes, instructions de livraison, annulations etc... Elle peut encore correspondre à une ou plusieurs transactions grâce à 38 segments de données que l'on peut encore rencontrer dans d'autres messages que celui-ci. La définition complète de ces données sera trouvée dans le Répertoire de segments de données EDIFACT/ONU (EDSD), partie V du TDID (Répertoire pour l'échange de données commerciales des Nations-Unies).
DEUXIEME PARTIE
LE REMPLACEMENT DE L'ECRIT PAR UN MESSAGE ELECTRONIQUE
L'admission de la dématérialisation de la facture a d'abord fait l'objet d'une expérience pilote entre un groupe de professionnels de l'automobile GALIA et la Direction Générale des Impôts (DGI)
dans le cadre contractuel d'un cahier des charges. Rapidement cet essai a été transformé en dispositif législatif : une loi a d'abord prévu la dématérialisation (SECTION I), avant qu'une instruction fiscale ne raffine la forme dématérialisée en un message électronique (SECTION II).
SECTION I - LA DEMATERIALISATION DE LA FACTURE
C'est un article de la Loi de Finances Rectificative (LFR) pour 1990 qui a amorcé la dématrialisation de la facture. L'article 47 de la LFR apporte des nouveautés tant en pratique que sur le fond de la doctrine
$1- L'apport juridique : l'article 47 et la question de l'écrit
La facture est un document écrit; c'est la conclusion que l'on tire de l'article 33 de l'Ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence qui parle de "document rédigé". Le point le plus délicat de la faisabilité de la facture électronique est justement celui-ci : comment concilier la dématérialisation de la facture électronique et l'exigence de forme écrite des textes nationaux ? C'est un préliminaire à l'emploi dans le pays du message international EDIFACT correspondant. En effet le caractère normalisé et international ne garantit pas la validité au regard du droit interne.
Faute d'écrit dans l'EDI, on est tenté de passer par le système de "la copie fidèle et durable" du Code Civil en l'absence d'un écrit original. A moins d'oser affirmer que le message EDI qui n'a connu aucune forme pré-existante écrite est bien un original ? Est-ce cependant le sens de l'article 47 : "les factures transmises par voie télématique constituent (...) des documents tenant lieu de facture d'origine".
On peut penser le contaire : si le terme "original" se rapporte au droit de la preuve, l'article 47 n'utilise que le terme "d'origine". Cette différence minime est cependant lourde de sens;: "original" renvoie à la preuve, "d'origine" renvoie au droit fiscal. C'est la qualité "d'origine" d'un document qui permet la déductibilité de la TVA, un point fondamental pour les entreprises.
Pour vérifier que la portée de l'article 47 est plus fiscal que juridique, on peut se reporter aux débats parlementaires. On vérifiera ainsi que seuls les aspects fiscaux de cet article ont été débattus en séance et plus particulièrement la procédure de contrôle spécifique, mise en place au profit de l'administration, et contestée dans un recours devant Conseil Constitutionnel NOTE.
Dans sa rédaction, l'article 47 n'établit pas nettement l'existence d'un original électronique dans le cas de la facture. En résumé, le texte montre un avantage évident : il permet la déductibilité de la TVA comme texte fiscal. Par contre sur le plan juridique, il ne résout pas la question de la forme écrite et de son exigence.
$2- Les éléments pratiques
A - Une procédure d'autorisation
Une procédure d'autorisation est créée par l'article 47 de la LFR :
"II. Les entreprises ou leurs groupements qui veulent recourir à la télétransmission des factures prévues au I déposent une demande d'autorisation auprès de l'administration fiscale. Cette demande comprend les éléments permettant de vérifier que le système de télétransmission répond aux conditions posées par le présent article".
Pour garantir le respect des engagements, une procédure exceptionnelle de vérification est prévue. Elle sera effectuée par les agents du fisc. Cette procédure reste indépendante de celle de la vérification des impôts, prévue par les articles L10 à L54 A du Livre des Procédures Fiscales (art. 41 VI al.6) dont les conditions seront encore précisée par un Décret (art. 41 V). Le contrôle consiste en une vérification inopinée sur les lieux des entreprises émettrices comme réceptrices ou des prestataires de services de télécommunications et opérateurs. La constatation de la non-conformité du système est faite dans un procès verbal qui permet une voie de régularisation à entreprise en cause; mais elle ne peut s'opposer à cette vérification.
B - Des obligations sur le stockage et la restitution
Sur la question d'une éventuelle restitution, la LFR indique :
"III. Les informations doivent être conservées dans leur contenu originel et dans l'ordre chronologique de leur émission par l'entreprise réceptrice dans les conditions et dans les délais fixés par l'article L 102 du livre des procédures fiscales.
Les entreprises émettrices et réceptrices tiennent et conservent sur support papier, pendant le délai fixé au premier alinéa de l'article L 102 du livre des procédures fiscales, une liste récapitulative séquentielle de tous les messages émis et reçus et de leurs anomalies éventuelles. (...) ".
C - Le contrôle de l'administration et les garanties des utilisateurs
Pour obtenir la faculté de dématérialiser les factures, on doit obtenir l'autorisation de la DGI. Aussi il est naturel que l'administration ait un droit de regard et de contrôle sur l'application du dispositif par les bénéficiaires, comme il est prévu dans l'article 47-IV. Mais ce point qui se classe dans les pouvoirs d'enquête et d'investigation de l'administration est soumis à la vigilance du Conseil Constitutionnel.
SECTION III - LE REMPLACEMENT PAR UN MESSAGE ELECTRONIQUE
Pour les spécialistes de l'EDI, l'article 47 de la LFR ouvrait la voie à la reconnaissance de la facture EDI. Mais pour les observateurs extérieurs à la communauté de l'EDI, l'article 47 ne visait que la dématérialisation de la facture. Encore fallait-il pour les uns dire ce qu'on mettait à la place de cette dématérialisation et pour les autres, assurer le passage de la facture dématérialisée à la facture EDI.
C'est chose faite avec deux textes d'applications : le Décret du 22 juin 1991 et l'instruction du 27 décembre 1991 (7). Avec sa frilosité technique habituelle le législateur n'emploie pas le terme EDI, mais les conditions à respecter pour utiliser le dispositif légal ouvrent la voie de l'EDI pour un des documents les plus formalistes du Droit français.
$1- L'instruction et l'original électronique
L'instruction règle le statut de la transaction électronique, validant ainsi la dématérialisation. Qu'en est-il dès lors par rapport à l'Ordonnance de 1986 qui demande une forme écrite ?
A - Un message électronique équivalant à un original
L'instruction comporte des dispositions intéressantes sur l'original qui viennent apaiser les questions habituellement soulevées par un EDI qui ignore l'écrit.
1) La reconnaissance de la qualité d'original
L'instruction fiscale déclare : "(...) en cas de télétransmission, la valeur probante des documents échangés dépend essentiellement de l'instauration d'un dispositif technique assurant au système une fiabilité équivalente à celle que procure l'impression des factures sur papier et permettant d'assimiler la facture transmise par voie télématique à un original"
Comme on le voit cette disposition ne fait ni plus ni moins que de reconnaître l'existence d'un original dans un système où la dématérialisation est totale c.a.d. où l'écrit ne pré-existe pas. La lecture du chapitre du Code Civil concernant la preuve des obligations ne comporte aucune définition de l'original. Cependant le contexte de l'emploi de l'original montre que le concept d'original est lié au concept d'écrit.
Avec la télécopie, il y a bien au départ un original, même si la suite des traitements ne concernent qu'une copie. Avec l'EDI, l'écrit n'existe jamais. La reconnaissance de l'existence d'un original implique une évolution des notions.
a) Les bases de l'existence d'un original
On peut s'interroger sur le raisonnement qui conduit à cette disposition de l'instruction à partir du document "d'origine" prévu dans l'article 47 de la LFR. Trois scénarios viennent à l'esprit.
Premièrement, cette reconnaissance de l'existence d'un original constitue ce que nous avons nommé une "élection d'original". En effet, pour se référer au régime juridique probatoire, on recherche l'apparition d'un original. On considère alors l'original comme la première matérialisaient du document exprimant de façon incontestable l'opinion d'une des parties. C'est de façon un peu péremptoire qu'on peut déclarer que la première matérialisation possible du document électronique après un cheminement dans une suite de système comportant tous un minimum de sécurité technique, constitue valablement un original. Concrètement le premier original qui sort de l'imprimante laser du destinataire est l'original, les suivantes ne sont que des copies.
Nous avons suivi cette démarche dans l'écriture de divers accords d'interchange publics et privés. Une démarche identique a été adoptée, sans concertation, par les auteurs de différents accords d'interchange disponibles dans le monde. On peut le vérifier dans les modèles d'accords d'interchange originaire de plusieurs pays du monde, comme celui du barreau de Boston (USA), du SITPRO (anglais) dans la synthèse faite par la CNUDCI.
Le deuxième raisonnement est une inadéquation certaine quoique subtile du terme "original". L'analyse d'Alain Bensoussan permet de le comprendre (8). Face au monde de l'EDI où l'écrit n'existe pas à l'origine, l'auteur fonde une analyse juridique novatrice à partir d'un nouveau concept appelé "originaire". En fin de démonstration, il montre qu'il y a identité entre originaire et original. C'est sans le doute le cas présenté par l'instruction fiscale, où il y aurait plus originaire qu'original. Cependant la liberté de preuve en matière de droit commercial et de droit fiscal autorise l'administration à appeler "original" la première occurrence d'un message dont la re-matérialisation est immédiatement possible.
Le troisième raisonnement serait le plus simple, mais aussi le plus révolutionnaire : cette disposition admettrait tacitement que si il y a original, c'est qu'il y a bien écrit. On serait alors face à un début d'évolution du concept d'écrit. Rappelons comme l'a fait le professeur Larrieu (9) que l'écrit n'est nulle part défini. On peut simplement se hasarder à dire qu'il est une écriture sur un support. Avec l'EDI, l'écriture est toujours présente (en particulier grâce à la structuration textuelle du message), mais le support n'est plus le papier. Le support papier correspondait à un état stable de la technologies. Les technologies ont évolué proposant d'autres supports : magnétisme, électronique, optique, photographie. Tout l'EDI et une partie des technologies de la communication et de l'information trouverait leur validité juridique dans une simple re-définition extensive du concept d'écrit.
b) Les conditions mises à l'admission d'un original
Quoi qu'il en soit cette admission d'un original suppose de remplir des certaines conditions. Le texte parle de comparaison entre un dispositif technique de télétransmission et un dispositif technique d'impression des factures sur papier :
"(...) la valeur probante des documents échangés dépend essentiellement de l'instauration d'un dispositif technique assurant au système une fiabilité équivalente à celle que procure l'impression des factures sur papier ..."
Le second dispositif peut être compris comme un traitement de texte. Il va de soi que la facture papier produite par un traitement de texte est un original. Quoique certains en doutent
encore. Il n'est que de rappeler que le traitement de texte n'est qu'une machine à écrire informatique. Cette machine a succédé à la machine à écrire électronique, électrique et électro-mécanique (mécanographie). Toutes sont des descendantes de la machine à écrire mécanique dont personne ne suspecte l'aptitude à produire des originaux.
Le dispositif de télétransmission est plus complexe, puisqu'il comprend au minimum un ensemble matériel/logiciel de communication chez l'émetteur, autant chez le destinataire, une liaison par un ou plusieurs réseaux de télécommunications (services supports + SVA), renforcés ou non de services de sécurisation, voire d'un tiers certificateur (SEI ou VERIDIAL de Transpac).
Globalement selon le texte, le dispositif doit présenter le même degré de fiabilité que le dispositif traitement de texte. Cette fiabilité sera démontrée ou plutôt garantie par le recours à des moyens de sécurisation. C'est ainsi une confirmation que les services de télécommunications sécurisés sont nécessaires à la validation juridique de l'EDI (10). La sécurité peut se déployer sur d'autres moyens que les services de télécoms. Ainsi une partie du "dispositif" juridique est tributaire de la technique et plus particulièrement de moyens de sécurité.
3) Du document d'origine au document original
A l'issue de ces développements, on peut tenter de faire le point. La nature d'écrit de la facture n'est pas véritablement établie ni dans la précision du texte ni dans la portée du texte. Est-elle pour autant un document de forme libre ? Non, car le formalisme juridique revêt d'autres attributs, comme la présence obligatoire de certaines mentions. Mais l'exigence de mentions ne renforce-t-elle pas l'obligation d'un écrit;? A contrario, comment vérifier la présence de mentions obligatoires dans un contrat passé par voie orale ? Le dilemme juridique est ici posé;: nul document ne peut revêtir une autre forme que l'écrit pour contenir des mentions obligatoires, sauf les messages EDI si on venait à les considérer comme de véritables documents électroniques.
Le côté fiscal de la facture se trouve en avance par rapport à son côté juridique. Peux-t-on admettre que la partie inférieure de la facture -celle qui contient topographiquement les rubriques fiscales- ait valeur de document d'origine et de preuve selon le droit fiscal, alors que la partie supérieure -qui contient les rubriques proprement juridiques- n'aurait pas force de preuve au regard du Droit commercial ? La force et l'autonomie du droit fiscal emporteront-elles l'intime conviction du juge comercial ?
$2- Le message-facture EDI, unique éventualité.
L'instruction fiscale apporte des éléments de réponse à cette question : dématérialiser la facture, oui ; mais pour la remplacer par quoi ?
A- De la facture dématérialisée à la facture EDI
Aucun des trois textes du dispositif légal ne mentionne l'EDI mais seule l'emploi d'un message de type EDI permet de se raccrocher au régime de l'écrit, qui disparaît ici, avec l'apparition d'un véritable original.
1) La facture EDI, unique possibilité
L'étude des textes, et particulièrement de l'instruction, permet de mettre en lumière les éléments permettant de définir la facture électronique :
- par un élément négatif : certains modes de dématérialisés sont exclus de l'application du dispositif,
- par un élément positif : ne seront retenus que les messages créés à partir de norme de syntaxe homologuées.
a) L'exclusion de certains modes de dématérialisation
"Les factures transmises ...", la lecture du texte brut de l'article 47 de la LFR pouvait induire en erreur le lecteur non averti. En rapprochant la possibilité de dématérialisation de la facture et la pratique du fax par les entreprises, on pouvait déduire un peu trop rapidement que la voie était ouverte à ... la facture télécopiée.
Avec le Décret et l'instruction, on sait que l'emploi du fax est exclu du champ d'application de ces textes. La facture télécopiée, un écrit au départ, transmise par une voie télématique, aurait bien constitué à l'arrivée un document d'"origine", générateur de déduction fiscale. Mais la modalité n'a pas été retenue car le système de transmission par fax ne possède qu'un degré de sécurité minimal, celui du Réseau téléphonique commuté.
Sont aussi exclus Télex et Minitel (Videotex) pour des raisons évidentes. Le Minitel n'est qu'un terminal chez le particulier. Si ce terminal est susceptible d'émettre des données, les données ne peuvent être structurées en message normalisés (voir ci-dessous) faute d'intelligence dans le terminal. Cette
explication est la même pour le télex qui ne permet généralement pas une bonne reprise des données par le système informatique du destinataire. Son équivalence traditionnelle de lettre recommandée n'est pas remise en cause.
b) L'utilisation de normes de syntaxe homologuées
Avec l'élimination de la facture télécopiée (ou transmise par télex ou minitel), la seule éventualité restante est le message facture EDI. D'ailleurs l'instruction fiscale parle de "norme de syntaxe homologuée". Seul l'EDI possède une normalisation des contenus.
i- Normalisation des contenus et syntaxe
On peut rappeler sur ce point la spécificité de la normalisation EDI par rapport aux normes et aux standards de l'informatique. Les documents commerciaux peuvent être créés par de nombreux types de logiciels : traitements de texte, tableurs et bases de données peuvent établir une facture. Le fichier facture est alors préparé et structuré selon un mode propre au logiciel qui l'a généré. Son traitement ultérieur, avec ou non transit par télécommunication, nécessite le même logiciel ou un logiciel compatible pour le lire.
Au contraire dans l'EDI, la normalisation des fichiers (on parle plutôt de messages) dépend de la nature intrinsèque du document représenté. Quel que soit l'outil de sa création, il est nécessaire de le traduire en EDI avant de l'expédier. L'avantage est notable à l'arrivée du message : un interpréteur EDI pourra le transcoder pour lecture et traitement par un logiciel pas nécessairement compatible avec celui qui l'a généré.
ii- La question de l'homologation
Si l'instruction parle de normes de syntaxe homologuées, elles ne désignent pas lesquelles. Plusieurs possibilités sont ouvertes. Mais le poids de la normalisation internationale relayée par la CEE (programme TEDIS) et la structure française ad hoc, EDIFRANCE, à laquelle les administrations françaises sont associées, donne un avantage à l'UN/EDIFACT. EDIFACT avance le premier candidat à la validation avec le message facture EDI, INVOIC.
Il reste la possibilité pour les professionnels d'utiliser d'autres normes de syntaxe. Les précurseurs de l'EDI ont développé des applications sectorielles employant une syntaxe spéciale, comme l'industrie automobile (messages ODETTE), les
transports (messages EDT), les industries électroniques et informatiques (messages EDIFICE). Mais ces normes devraient migrer petit à petit vers EDIFACT.
Enfin comme c'est courant en informatique et télécommunications, on évitera les normes propriétaires. Il faudrait encore faire homologuer les messages. A notre connaissance, il n'existe pas encore de structure permettant cette homologation. Cette difficulté a été vue dans le monde UN/EDIFACT. Car il y aura un moment où il sera nécessaire de démontrer à ses partenaires ou aux administrations que les logiciels employés sont conformes à EDIFACT. Le besoin de laboratoires indépendants pouvant homologuer les produits va se faire rapidement sentir. Une première initiative est lancée en ce sens par la DG XIII de la CEE. Un consortium international est en cours de montage sous l'égide du réseau SWIFT pour la réalisation d'un service de tests de conformité. Il s'agira de tests portant sur les messages et la syntaxe EDIFACT sous protocole P-EDI, utilisable sur les services de messageries à la norme X400.
$3- Les conditions de l'autorisation et ses limites
Les entreprises désirant dématérialiser leurs factures doivent constituer un dossier d'autorisation auprès de la DGI, qu'elles obtiendront moyennant certaines conditions. L'autorisation ouvre des possibilités intéressantes d'allègement des messages. Il faudra les utiliser avec prudence, faute de quoi le formalisme juridique se rappelle à notre attention.
A- Les conditions d'acceptation de la facture électronique
La dématérialisation et la télétransmission sont possibles avec l'autorisation. Mais la disparition de l'écrit, premier élément du formalisme ne peut faire oublier les autres, par exemple la présence de mentions obligatoires.
1) Les conditions relatives au contenu du message
Avec la dématérialisation permise et l'emploi de l'EDI, le dossier juridique de l'opération n'est pas clôt. Il y a deux volets à ce dossier. Le premier, celui de la dématérialisation étant acquis par le dispositif de l'article 47, il faudra montrer, second volet, que le message INVOIC est à même de remplir les autres exigences juridiques et fiscales, comme les mentions obligatoires déjà signalées.
Si l'utilisateur de facture EDI se rallie au monde de l'UN/EDIFACT, il lui incombe de vérifier concrètement, si ces mentions trouvent leur place dans le message de service des Nations-Unies (UNSM) INVOIC.
Mais la tâche a été réalisée par une sous-commission intitulée IDEA, Identification des Données Exigées par l'Administration dans le cadre du Groupe Administration d'Edifrance. L'étude a été menée en profondeur. En effet la tâche d'EDIFRANCE est de créer un subset français de la facture INVOIC internationale et dans une version inter-sectorielle. Il lui fallait établir avec précision où placer telle ou telle rubrique parmi les segments de données du message de service.
Si toutes les mentions trouvent bien leur place, il faut quelquefois choisir dans quels segments intégrer les mentions lorsque plusieurs sont possibles, puis de déterminer comment les coder. Naturellement, il faut caser en priorité les mentions juridiques obligatoires et rendre les segments du message obligatoires lorsqu'ils ne sont qu'optionnels au point de vue international.
2) Les conditions relatives aux traitements informatiques
L'instruction rappelle et explique les conditions à remplir pour obtenir l'autorisation de dématérialisation : l'article 47 de la LFR intégré au code des Impôts à l'article 289 bis permet aux entreprises d'échanger des factures par voie télématique si leur système de télétransmission assure les fonctionnalités suivantes :
- identité des messages émis et reçus ;
- à la demande de l'administration, restitution des factures en langage clair sur support-papier ;
- édition sur support papier d'une liste récapitulative des messages échangés et de leur anomalies éventuelles.
B - Les limites de l'autorisation : le retour du formalisme
Un point intéressant pour les utilisateurs est la possibilité de transmettre des messages EDI light c.a.d. allégés. Ce sera le cas si certaines rubriques, des segments du message sont codifiés ou même inexistants. Cependant cette façon de procéder n'a pas encore été sondée profondément afin d'en mesurer les conséquences : on y verrait rapidement revenir le formalisme juridique (11).
1) l'Utilisation de messages comportant des codes
L'instruction fiscale déclare :
"L'utilisation de codes stables désignant, par exemple, des produits, des personnes ou des lieux est cependant possible, dès lors que la codification est déchiffrée automatiquement à l'aide d'une table de correspondance intégrée à la fonction restitution; des libellés abrégés pourront, le cas échéant, être acceptés."
Le bénéfice des codes est de permettre un plus grand traitement possible des données par des systèmes automatisés, alors que le traitement des rubriques en texte libre n'offre que peu de possibilités.
Pour employer les codes, il faut que le destinataire possède une table de correspondance entre les codes et les libellés en clair. Cette possibilité quoique intéressante pour le traitement informatique est génératrice de limitation. En effet dans la perspective de l'EDI dans les réseaux ouverts, une relation commerciale peut être initiée entre entreprises alors qu'elles ne sont pas en situation de relations commerciales régulières. En pratique, l'entreprise destinataire pourrait posséder les équivalents en clair des codes que l'émetteur lui proposera pour les produits et marchandises.
Mais peuvent être codées les identifiants des entreprises au point de vue fiscal ou commercial (Registre du Commerce, SIREN etc..) autant d'identifiants juridiques dont il est difficile à priori de posséder la signification en clair. Par contre, l'identifiant technique de l'entreprise est possible : la communication dans les réseaux ouverts se déroulera via l'annuaire électronique X500 intervenant en complément de la messagerie normalisée X400. A ce jour, la messagerie X400 est toujours considérée comme le support privilégié de l'EDI.
2) Les messages allégés ou messages light
A partir de l'utilisation des codes, on peut désirer aller encore plus loin et alléger les messages au maximum pour leur donner une pleine efficacité au point de vue de la technique, en faire des messages "light". On peut déjà imaginer deux cas.
a) La suppression des données redondantes dans le message
Les mentions exigées sur les factures-papier sont parfois, au niveau de l'information pure, redondantes, en particulier entre mentions en texte libre et mentions codifiées.
On peut imaginer un semblable cas de figure. La facture porte nom de l'entreprise, numéro de R.C. et numéro SIREN. Ces trois données représentent la même réalité. Il est possible techniquement d'employer l'une des trois, la plus codifiée, pour reconstituer à l'arrivée les données manquantes grâce à une table de correspondance.
Cette éventualité respecte-t-elle le formalisme juridique ? Le formalisme n'explique pas pourquoi les mentions sont présentes sur la facture ; il exige qu'elles le soient.
b) La suppression des données répétitives dans un flux de messages
Quand deux entreprises commerceront habituellement par EDI et seront liées par un flux de messages facture, ne sera-t-il pas fastidieux de répéter certaines données ?
La Chancellerie a été récemment interrogée sur la nécessité de développer la forme juridique des sociétés commerciales comme prévue par le Décret du 23 mars 1967. Certains grands utilisateurs d'EDI, comme dans le secteur automobile, peuvent s'échanger jusqu'à 1200 factures EDI par jour entre fournisseur et client. Est-il bien utile de faire figurer la mention de "Société Anonyme au capital social de nn millions de francs" dans chaque message, l'alourdissant inutilement ? Pour ne pas malmener la loi, on peut proposer de faire figurer cette mention et l'allègement des messages dans l'accord d'interchange.
La Chancellerie n'a pas recu cette analyse. Elle s'est bornée à rappeler la Loi ; l'EDI allégé ne trouve pas d'application. Le formalisme juridique fixe la présence de la mention des raison et capital sociaux dans toutes les factures. La Chancellerie rappelait par la même occasion que toute atteinte au Décret de 1967 est sanctionné de poursuites pénales.
Une semblable position peut aboutir à deux conséquences suivantes dans le monde de l'EDI :
- dans une première conséquence immédiate, il y aurait lieu certainement de demander la modification de l'UNSM international INVOIC pour l'adapter aux exigences françaises.
- la seconde est de créer une différenciation entre le message EDI et la facture dématérialisée. La facture ne pourrait être reconstituée à l'arrivée par la reprise du message EDI entrant, enrichi de mentions connues et obligatoires mais inutiles dans l'échange en cours. De la sorte, la facture électronique ne prendrait corps que chez le destinataire.
Encore faut-il que cette modalité ne se heurte pas de nouveau au formalisme juridique de la délivrance de la facture.
3) La délivrance de la facture
La faculté d'utiliser des codes et surtout la pratique qui pourrait en découler (les messages "light") est-elle bien conforme aux textes juridiques. On peut penser qu'il s'agirait d'une sérieuse atteinte au formalisme juridique.
Le formalisme juridique, en particulier issu de l'Ordonnance de 1986 qui précise la nature écrite de la facture est cohérent avec lui-même lorsqu'il organise la "délivrance" du document.
Sur ce point, l'article 289-I du CGI reprend les dispositions de l'article 22-3 de la 6ème directive fiscale européenne : les fournisseurs redevables de la TVA doivent délivrer à leurs clients une facture ou un document en tenant lieu. L'article 31 alinéa 12 de l'Ordonnance de 1986 ajoute :
"le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service".
Il en ressort que doit être délivré dès le départ un document répondant aux exigences (formalisme) de la Loi. Dans la pratique, le destinataire "fabriquera" à l'arrivée un original de la facture :
- à partir des données envoyées par son fournisseur,
- qu'il décodera en partie (pour les données codées)
- et auxquelles, ils adjoindra les données manquantes (en cas de messages light).
Globalement, c'est le client qui fabriquera chez lui la facture de son fournisseur. Ce n'est pas ce que prévoit l'Ordonnance avec la délivrance de la facture. On pourrait admettre qu'ici il y ait contradiction entre le dispositif juridique organisant la facture électronique et l'Ordonnance de 1986. On pourrait l'admettre à condition d'être sûr que l'Ordonnance a bien valeur légale comme on l'a exposé dans la première partie.
CONCLUSION
Si l'évolution de l'usage des codes aux messages light est juridiquement admissible, on peut constater que sur ce point on s'éloigne de plus en plus de l'écrit. Déjà avec l'EDI, l'écrit n'existe plus. Mais on tentait d'organiser la validation juridique du processus en montrant qu'on respectait toutes les exigences juridiques, preuve, formalisme, archivage, identification etc.., sauf une, l'emploi du support papier. On pouvait échafauder des raisonnements en comparant le "document
électronique" (12) au "document traditionnel écrit". Avec l'utilisation des codes et surtout la reconstitution à destination des données manquantes, on se coupe encore plus de l'écrit.
Il sera nécessaire un jour prochain de revoir le concept de l'écrit qui est de plus en plus mis à mal par le développement des technologies de l'information et de la communication. A moins que de considérer comme on l'a fait plus haut que le concept évolue et reçoit désormais un contenu élargi.
Notes ----------------------------
* Sur le régime juridique de l'EDI, voir Mémento-Guide Alain Bensoussan, "L'EDI et le Droit", par Thierry Piette-Coudol, Editions Hermes, Paris, 1991.
(1) Article 109 : "A l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi." Avant la Loi 80-525 du 12 juillet 1980 qui a établit l'article dans sa forme actuelle, l'article 109 mentionnait la facture.
(2) Ordonnance n. 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée par la Loi n 87-499 du 6 juillet 1987, J.O. du 2 décembre 1986.
(3) Arrêté 77-142/P du 20 décembre 1977-BOSP 23 déc. 1977.
(4) Dans le cas particulier des spectacles, paiement d'après le bordereau des recettes.
(5) Hypothèse hors du champ de l'EDI qui ne concerne que les relations entre commerçants ou entre entreprises.
(6) Descriptif de INVOIC, "2.1 Termes et définitions- Message"
(7) Décret n. 91-579 du 20 juin 1991, J.O. du 22 juin 1991 - Instruction du 27 décembre 1991.
(8) Cf. Expertises, février 1991.
(9) Cf. l'article "les nouveaux moyens de preuve : pour ou contre l'identification des documents informatiques à des écrits sous seing privés", LARRIEU (Jacques), Lamy Droit de l'Informatique, cahier H, novembre 1988.
(10) cf. tribune TPC, Expertises 1991 : "EDI et RVA"
(11) Sur la priorité du formalisme sur la preuve, voir notre article "la véritable problématique juridique de l'EDI : le formalisme avant la preuve", Cahier du LAMY droit de l'informatique de décembre 90 et Janvier 91.
(12) Voir la proposition d'équivalence entre messages EDI et document électronique faite par le groupe d'experts juridiques du WP4, dans l'article précité "La véritable problématique juridique de l'EDI : le formalisme avant la preuve".