![]() Le droit d'auteur et les dossiers juridiques : quelle est l'étendue de la protection? Lucie Guibault [1] La mise en ligne des dossiers judiciaires soulève de nombreuses questions reliées à la propriété intellectuelle, et plus particulièrement en matière de droit d'auteur. De façon générale, les systèmes de copyright et de droit d'auteur créent, en matière de procédures judiciaires, un délicat équilibre entre l'octroi de droits exclusifs et la sauvegarde de l'intérêt public, en réservant un traitement particulier aux décisions judiciaires : soit que celles-ci sont carrément exclues du champ du droit d'auteur, soit qu'elles font l'objet d'une limitation aux droits exclusifs. En effet, la diffusion publique des jugements est jugée essentielle au bon fonctionnement de toute société démocratique et à la transparence de l'organe judiciaire, puisqu'elle garantit que chaque citoyen est en mesure de prendre connaissance de la loi et de son application. Mais, qu'en est-il des documents déposés à la cour dans le cadre de procédures judiciaires? Laissant à d'autres que nous le soin d'analyser si la diffusion de ces documents contribue au bon fonctionnement de la société au même titre que la diffusion des décisions judiciaires, nous nous proposons de nous pencher, durant cette présentation, sur la question de savoir si la protection du droit d'auteur pose un obstacle à leur diffusion ou si ceux-ci peuvent être librement communiqués au public sur l'Internet ou autrement. [2] Il s'agit tout d'abord de savoir si les documents rassemblés dans des dossiers judiciaires font l'objet d'une protection en vertu du droit d'auteur. En principe, les documents déposés au greffe des tribunaux dans le cadre de procédures judiciaires, tels que requêtes, mémoires, déclarations, textes de doctrine, lettres, pièces justificatives, contrats et rapports d'experts peuvent être protégés par droit d'auteur s'ils satisfont au critère d'originalité. S'ils ne satisfont pas au critère d'originalité, les documents font partie du domaine public et peuvent être librement communiqués au public. Si par contre ces documents sont jugés suffisamment originaux, leur reproduction et leur communication au public sont alors soumises à l'autorisation du titulaire de droits. À notre avis, la mise en ligne de dossiers judiciaires implique non seulement un acte de communication au public au sens du droit d'auteur, mais implique également un ou plusieurs actes de reproduction temporaire ou permanente, notamment par le fournisseur de services et par chaque utilisateur. Il en résulte que la mise en ligne de dossiers judiciaires protégés par le droit d'auteur est possible uniquement en vertu d'une licence accordée par le titulaire de droits ou d'une limitation au droit d'auteur reconnue par la loi. La loi peut prévoir soit une limitation spécifique au droit d'auteur autorisant la reproduction et/ou la communication de documents à des fins judiciaires ou une limitation plus générale autorisant l'utilisation équitable d'une oeuvre ou sa reproduction pour fins de citations ou de revues de presse. À défaut d'obtenir une licence ou de bénéficier d'une limitation au droit d'auteur, la mise en ligne de tels documents constitue une violation au droit d'auteur. [3] Nous considérons ces questions en fonction du droit d'auteur canadien et européen. Au Canada, nous portons une attention spéciale à la récente décision de la Cour fédérale d'appel dans la cause CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, dans laquelle la Cour analyse les dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, et plus particulièrement le concept d'originalité et la notion d'utilisation équitable. En Europe, malgré les efforts d'harmonisation déployés par la Communauté européenne, notamment lors de l'adoption de la récente Directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, le concept d'originalité et les limitations au droit d'auteur relèvent encore pour l'essentiel de la législation nationale. Par conséquent, nous jetons un coup d'oeil rapide aux dispositions pertinentes de la loi française, allemande et scandinave et nous examinons dans quelle mesure les limitations au droit d'auteur peuvent trouver application dans le cas de la mise en ligne de dossiers judiciaires. ![]() |