Stratégie d'intégration de l'Internet pour le Droit dans les pays émergeants. Le dossier haïtien

Salim Succar

Introduction

[1] C'est pour moi un réel plaisir de participer à la 4eme conférence Internationale Internet Pour le Droit. Je remercie ses aimables organisateurs de m'avoir fait un tel honneur. Je tiens à exprimer à tous les participants mes plus chaleureuses salutations et à former pour les travaux de cette séance mes voeux de pleine et totale réussite.

[2] Représentant d'un pays en voie de développement, Haïti, mon intervention se situera dans le cadre de la problématique relative à l'accès aux nouvelles technologies de l'information en vue de diffusion électronique du droit. Ma réflexion portera essentiellement sur les principales stratégies à mettre en oeuvre pour en assurer un accès maximal

Objectif

[3] L'objectif de la présentation est d'avoir une idée des caractéristiques et des structures du système juridique haïtien, de comprendre la faiblesse des structures et certaines contraintes légales inhérentes à la diffusion électronique du droit et d'étudier les étapes d'une stratégie durable propre à en assurer l'accès maximal.

Situation géographique, économique et sociale

[4] Retenons en tout premier lieu qu'Haïti est une île de la Caraïbe faisant partie des Grandes Antilles. Avec un PIB qui varie de 2 à 400 dollars américains par an, un taux d'analphabétisme variant entre 50 et 65%, un taux de mortalité infantile et de chômage particulièrement élevé, et avec une situation économique extrêmement précaire, due à une succession de gouvernements et un embargo qui a duré 5 ans, c'est un pays qui accuse un extrême retard et déficit dans presque tous les domaines. Comme conséquences de cette instabilité politique de plus de 16 ans, Haïti a vécu en marge du développement qu'ont connu ses voisins de l'Amérique.

Le Système Juridique Haïtien

[5] Haïti utilise un système de droit Civil hérité du code Napoléon. Ceci signifie, entre autres, que le droit haïtien est tout d'abord un droit écrit, dont le moyen de diffusion principal est le JOURNAL OFFICIEL, Le Moniteur. L'ordre judiciaire haïtien comprend 180 tribunaux de Paix répandu à travers le pays dans les endroits les plus reculés ou il n'y a parfois ni électricité ni téléphone. Nous avons 15 juridictions de Première Instance avec toutes les formations civiles et pénales. Il existe aussi 6 juridictions de recours dont 5 Cours d'Appel réparties à travers cinq des grandes villes du pays et Une Cour de Cassation, située à Port-au-Prince. Il est à noter que la cour de Cassation est la juridiction suprême de l'ordre judiciaire en Haïti.

[6] Il y a également Une Ecole de Magistrature, formant des promotions de Magistrats, 17 Ecoles de Droit, comptant près de 10.000 étudiants et environ 3.000 opérateurs de la justice tels les magistrats, les avocats, les notaires, les greffiers, huissiers, etc..

[7] Tant sur le plan physique qu'organisationnel, le système juridique est affaibli du fait d'un manque chronique de ressources, ce qui contribue au délabrement des structures d'accueil. De plus, l'insuffisance ou l'absence de matériel affecte négativement la justice elle-même ainsi que la saine et rapide résolution des dossiers traites. S'il en est ainsi du système juridique haïtien, que dire de la diffusion électronique du droit en Haïti?

Situation actuelle de la Diffusion électronique du droit en Haïti.

[8] Eh bien, pour situer la question, Il faut tout d'abord parler du réseau informatique qui est actuellement très peu développé ; moins de 100,000 utilisateurs dans tout le pays pour une population de près de 8 millions d'habitants, moins d'une dizaine de fournisseurs de service Internet situé uniquement aux environs de la capitale. Le service est quasi inexistant sur la plus grande partie du territoire. En ce qui a trait au droit, on peut à la rigueur parler d'un semblant d'embryon dans la zone métropolitaine ou certains fournisseurs de logiciel ont tenté d'exploiter les carences dans le domaine en offrant certains textes de loi en version électronique à un prix d'ailleurs fort coûteux. Il existe également un programme d'assistance de la communauté internationale impliquant les principaux ministères concernés et qui vise à la modernisation de la justice a travers l'informatique.

Les Causes

[9] Quelles sont les causes d'une telle situation. Elle doivent être recherchées dans les problèmes d'infrastructures auxquels est confronté le pays : déficiences des réseaux électriques et téléphoniques en premier lieu avec en moyenne, moins de 10 heures d'électricité par jour. On doit aussi retenir le coût élevé du matériel électronique : Les Ordinateurs, dont les prix varient entre 1000 à 3000 dollars américains, des modems pour les anciens modèles et qui coûtent environs 150 dollars, sans compter les prix d'acquisition du matériel sans fil permettant un accès direct via satellite, qui lui oscille entre 3 et 5 mille dollars américains. Voyez la différence entre le PIB entre 2 et 400 dollars et les coûts d'acquisition ? A cela s'ajoutent les frais plutôt élevés réclamés par les fournisseurs de services Internet dont les tarifs varient entre 30 et 150 dollars américains par mois. En outre la performance des utilisateurs se trouve gravement affectée par le caractère sommaire des infrastructures existantes, les carences en formation technique se font donc sentir nécessairement.Il faut également prendre en compte les restrictions légales quant à l'accès aux technologies gratuites disponibles sur Internet (Voice Over IP par exemple qui est interdit par la loi, à cause du Monopole de l'Etat sur les communications). De tout cela, le point le plus important reste le manque de moyens financiers du gouvernement qui devrait lui permettre de promouvoir la divulgation de l'information juridique par Internet, il faut aussi mentionner une certaine absence de sensibilisation au niveau général. Il en résulte l'inexistence d'un site gouvernemental et une certaine rareté de l'information juridique publiée, ce qui pose la nécessitée d'une réforme à ce niveau. Pour remédier à ces problèmes, il faut trouver des solutions durables qui doivent permettre la dissémination électronique du droit. Pour ce faire, nous pensons que la solution réside dans l'adoption d'un certain nombre de mesures qui favoriseront une intégration au niveau national

Les Stratégies

[10] L'objectif Prioritaire de cette stratégie serait d'assurer un accès aisé et aussi peu coûteux que possible

  1. Obtenir que l'accès à l'information électronique soit considéré par le gouvernement comme l'un des axes majeurs de son action. Comme l'a souligné Angéline-Florence, s'il n'y a pas une volonté de faire clairement manifestée par le gouvernement, tout effort de développement en ce sens risque d'échouer. Et ceci peut facilement se justifier, comme l'a si bien mentionné Professeur Greenleaf par le besoin de souscrire aux obligations d'information qui constitue un des devoirs du gouvernement représentant l'Etat
  2. L'apprentissage à l'informatique doit servir à renforcer le processus d'alphabétisation dans les milieux ruraux et urbains. Ce processus est déjà enclenché par le gouvernement haïtien et devrait, à notre avis, inclure une familiarisation avec les outils de la technologie qui ne sont, après tout, pas si difficile à manier.
  3. S'efforcer d'obtenir la réduction des coûts d'acquisition du matériel informatique grâce à un programme de subvention de l'Etat et d'aide internationale. C'est là où la communauté internationale aurait la chance de vraiment participer à un projet d'envergure qui ne devrait pas uniquement naître de son besoin de bénéficier de la disponibilité de l'information juridique, mais aussi par la nécessité impérieuse de contribuer à l'essor économique et social du pays émergeants. Monsieur Ouédraogou a proposé l'implantation d'usine d'assemblage d'ordinateurs comme une solution possible.
  4. Acquérir les technologies les plus avancées utilisant les infrastructures déjà existantes comme celle développé en 1997 par la firme canadienne Nortel et qui utilise les courant porteurs qui convertissent un transformateur de courant électrique de moyenne tension en tête de réseau pouvant fournir l'accès Internet et des services de téléphonie aux abonnés.
  5. Il faudrait ensuite offrir et organiser, à travers le pays, des programmes gratuits de formation et de vulgarisation de la technologie. Ceci, je dois le souligner, a déjà été entamé avec la campagne « infotel expo » organisée par le Groupe Croissance en Haiti.
  6. Il faut aussi Construire une grande bibliographie des articles de revue de recherche émanant des pays francophones, de la France et du Canada surtout).
  7. Développer une base d'informations (banque de données) sur les Codes, ouvrages de doctrine, lois usuelles les plus courantes, jurisprudence, textes fondamentaux relatifs aux libertés publiques, droits de la personne, etc., en établissant des antennes d'alimentation ou de mise a jour des informations dans les tribunaux et dans l'imprimerie nationale publiant le journal officiel Le Moniteur.
  8. Finalement, il faudrait établir une présence importante sur Internet en offrant les textes de la législation nationale (Références précises et Résumés sur le Droit des Affaires, le Codes des Investissements, etc..) et surtout une compilation de toutes les lois.

Conclusion

[11] Il ressort de tout ce qui précède que, sans un effort soutenu visant la mise en oeuvre de stratégies clairement définies et un partenariat entre les secteurs privé et public et la communauté internationale, Haïti restera en dehors d'un monde de plus en plus globalisé. Cependant, nous restons convaincu que la mise en oeuvre des principales Stratégies définies ci-dessus devrait permettre d'y parvenir, dans un laps de temps relativement court.