========== Université de Montréal, Faculté de droit =========


Quelles sont les relations juridiques avec un huissier de justice?:



a) L'aspect mandant-mandataire:

L'huissier de justice est-il un mandataire? Le mandat est défini à l'article 1701 du code civil actuel et qui sera refondu au début de 1994, et , comportera alors deux articles 2130 et 2132 du C.c.Q., qui sont ainsi libellés:

art. 1701 C.c.B.C.:

"Le mandat est un contrat par lequel une personne qu'on appelle le mandant, confie la gestion d'une affaire licite à une autre personne qu'on appelle mandataire, et qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exécuter. L'acceptation peut s'inférer des actes du mandataire, et même de son silence en certains cas."

Dans son sens ordinaire, le mandat est défini dans le dictionnaire Petit Robert comme: "un acte par lequel une personne (mandant) donne à une autre (mandataire) le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. On réfère alors aux mots: ( pouvoir et procuration)"[1].

articles de concordance:-

art. 2130 C.c.Q.:

"Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration."

art. 2132 C.c.Q.:

"L'acceptation du mandat est expresse ou tacite; elle est tacite lorsqu'elle s'induit des actes et même du silence du mandataire."

Même si au chapitre du mandat, le code actuel en son article 1705 C.c.B.C.,(2137 C.c.Q.) réfère à certaines professions sans toutefois les nommer:

art. 1705 (antérieur à 1994):

"Les pouvoirs que l'on donne à des personnes qui exercent certaines professions ou fonctions de faire quelque chose dans le cours ordinaire des affaires dont elles s'occupent, n'ont pas besoin d'être spécifiés, mais s'infèrent de la nature de telle profession ou fonction."

article de concordance:-

art. 2137 C.c.Q.:

"Les pouvoirs que l'on donne à des personnes de faire un acte qui n'est pas étranger à la profession ou aux fonctions qu'elles exercent, mais se déduisent de leur nature, n'ont pas besoin d'être mentionnés expressément."

Il est évident que tout professionnel n'est pas forcément "mandataire". Généralement, un avocat agit comme mandataire qui représente son client dans la plupart de ses démarches. Toutefois, un client qui demanderait uniquement une opinion juridique à un avocat n'aurait pas conclu un contrat de mandat mais plutôt de louage de services ou d'entreprise. L'idée de représentation du mandant par le mandataire à l'égard du ou des tiers est un caractère dominant du mandat [2].

Cette idée dominante des codificateurs de faire du mandat un contrat de représentation comme dans le droit français(...) Gérer l'affaire d'autrui, ce n'est pas faire un acte quelconque au bénéfice d'un autre ou lui rendre un service quelconque, c'est faire quelque chose pour une personne à sa place, c'est prendre en mains ses affaires, c'est le représenter.


b) Le statut de l'huissier de justice québécois:

On définie l'huissier de justice québécois comme étant: "Un officier de justice habilité à signifier les actes de procédure émanant de tout tribunal, à mettre à exécution les décisions de justice ayant force exécutoire et à exercer toute autre fonction qui lui est dévolue en vertu de la loi. Il est également habilité à effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter; ces constatations n'ont que la valeur de simples renseignements...".[3]

On précise également en son article 1.1. de cette même loi que l'huissier doit exercer ses fonctions de façon impartiale. Le fait de donner des renseignements à un justiciable ne constitue pas un acte de partialité.

L'huissier est un officier public. Comme nous l'avons vu précédemment, les services qu'il rend ne comportent aucun lien de subordination avec son client, qu'il soit l'avocat ou la partie. Il agit de façon autonome et exclusive, conformément àla loi et aux règlements l'assujettissant à la déontologie de sa corporation professionnelle.

Une fois ses services rendus, il n'opère pas sous le contrôle ni la surveillance de quiconque et il doit même "respecter les droits du débiteur"[4]. Cette obligation est donc d'une importance capitale.

Toutefois, ces caractéristiques (permis de pratique, autonomie, etc.) sont souvent indicatives de contrats d'entreprise mais n'excluent pas forcément toute idée de mandat. Des courtiers par exemple, que ce soit en assurance, en immeubles, en valeurs mobilières ou autres sont généralement à leur compte et doivent posséder un permis selon leur loi respective, tout en étant d'authentiques mandataires, représentant le client vis-à-vis les tiers selon le cas[5].

Cependant, dans tous les cas, la loi ne décrit pas de façon aussi rigide et détaillée les fonctions de courtier et surtout n'exige pas qu'il soit impartial puisqu'elle reconnaît qu'il agit pour et au nom du client.

L'huissier de justice quant à lui, a l'obligation légale d'agir, le titre exécutoire remis à l'huissier de justice par l'avocat, est d'office émis au nom du Souverain et enjoint àl'huissier soit de procéder à prélever sur les biens meubles du débiteur un montant, soit l'enjoint à saisir des biens spécifiques pour être ultérieurement vendus en justice, selon le cas. Une fois ces instructions reçues de son client directement ou par l'entremise de l'avocat, l'huissier de justice agit pour son propre compte et ses fonctions sont définies par la loi et doivent s'exercer de façon impartiale, tel que sus-dit. Même sa rémunération est déterminée par un barême légal et non décidée entre les parties.

Peut-on alors prétendre que dans l'accomplissement de ces actes officiels, l'huissier de justice gère l'affaire du client, pour et en son nom? N'accepte-t-il pas plutôt un contrat d'entreprise ?

En soi, il n'est le mandataire de personne lorsqu'il exécute un ordre émanant du Tribunal. Soit, il le fait dans l'intérêt de la partie, laquelle peut, en tout temps, lui donner instructions de ne pas exécuter l'ordre de la Cour. De plus, l'huissier de justice est tenu selon le code à des devoirs spécifiques, recevoir les sommes dues, donner reçus pour et au nom du créancier saisissant, etc. etc..

Ce choix de la partie, de procéder selon l'ordonnance du Tribunal ou de suspendre les procédures fait-il de l'huissier un mandataire de cette partie ?

Malgré tous ces éléments mixtes relevant de la nature même du contrat d'huissier qui tantôt s'apparente à un contrat d'entreprise et tantôt comporte les caractéristiques du mandat, un tribunal québécois a déjà eu a se prononcer sur ce chapitre et avait conclus dans une affaire [6] que du fait que la représentation était si incidente et minime par rapport à l'essence de la mission de l'huissier qu'il concluait qu'il s'agissait bel et bien d'un contrat d'entreprise ou de louage de services ou innommé et non de mandat.



[1] Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris. Société du Nouveau Littré, 1976,p.1035.(retour)

[2] En ce sens, H. Roch et R. Paré, traité de droit civil du Québec, t.13, Montréal, Wilson & Lafleur, 1952, pp.18-19.(retour)

[3] Loi sur les Huissiers de Justice, art.1 (L.R.Q. ch. H-4) 1991.(retour)

[4] Girard C. Côté (1976) R.P. 337 & Malo et als c. f.g. Bradley co. ltd et al. C.P.M. 500-02-044206-790.(retour)

[5] Terres Noires Ltée. c. Tremblay (1965) B.R. 408.(retour)

[6] Malo c. Bradley (1980) C.P. 334 à 340.(retour)


C.L. octobre 1995