Dans ce colloque de droit comparé sur le statut des actes officiels au regard du droit d'auteur, il me paraît important, avant de passer à l'examen des lois nationales, de dire ce que l'on trouve à ce sujet dans les Conventions internationales de droit d'auteur.
Mais plus intéressante pour notre sujet est l'étude de la Convention de Berne. En effet, celle-ci s'intéresse au statut des textes officiels. Elle a commencé à le faire lors de la Conférence de révision de la Convention à Bruxelles en 1948. Mais elle n'avait alors réglé la question que de façon très limitée. Il en a été autrement à Stockholm en 1967. Le texte qui a été adopté alors et qui a été repris dans l'Acte de Paris de 1971, dernier texte en vigueur, envisage le problème de façon beaucoup plus globale.
C'est ce qu'on va voir en étudiant tour à tour l'Acte de Bruxelles puis l'Acte de Stockholm.
La portée de ce texte était à la fois limitée et large.
Elle était limitée en ce sens que le statut spécial des textes officiels ne concernait que la traduction desdits textes et non pas l'original. La disposition se présentait comme une dérogation à l'article 8 de la Convention consacrant le droit exclusif de traduction comme un élément du droit conventionnel établi par la Convention. Cette dernière permettait formellement à la loi nationale des pays de l'Union de priver de protection la traduction d'un acte officiel. Mais elle ne disait rien à propos de la reproduction de l'Acte officiel lui-même pour la raison que, à l'époque, le droit de reproduction ne faisait pas encore l'objet d'une reconnaissance expresse dans la Convention.
Desbois explique que si l'on avait voulu faire un sort particulier aux traductions d'actes officiels, plutôt qu'aux actes officiels proprement dits, c'est pour qu'on puisse favoriser la connaissance des textes par les étrangers regardés comme ne pratiquant guère que leur langue nationale.
Mais le texte de Bruxelles, s'il était étroit à certains égards, comme on vient de le voir, était aussi large à d'autres égards. Il l'était d'abord en ce sens qu'il appliquait le régime dérogatoire à toutes les traductions d'actes officiels, c'est-à-dire aussi bien aux traductions officielles qu'à celles qui ne l'étaient pas.
Cependant le texte de Bruxelles était surtout large à un autre point de vue, c'est-à-dire s'agissant de définir l'objet des actes officiels en cause. Dans le programme de la Conférence de Bruxelles, il avait été prévu que les pays de l'Union pourraient régler la question des traductions des «lois, décrets, arrêtés et autres actes officiels semblables», ce qui était une formule claire et précise. Mais un amendement français remplaça cette formule par un autre plus large où il était question des textes officiels d'ordre législatif, administratif et judiciaire. C'est celle qui fut adoptée. Pourtant il faut observer que la référence aux textes d'ordre administratif sans autre précision était susceptible de susciter des difficultés d'interprétation, comme il allait apparaître par la suite.
Malgré tout, on peut dire que, en fin de compte, l'Acte de Bruxelles traitait peu le sujet qui nous intéresse, puisqu'il laissait hors de son champ d'application les originaux des actes officiels pour ne s'occuper que de leur traduction, ce qui équivalait à passer sous silence le problème essentiel. Celui-ci a au contraire été tranché par l'Acte de Stockholm de 1967 dont les solutions ont été reprises dans l'Actes de Paris de 1972.
Par rapport à la version de Bruxelles, la nouvelle disposition comporte une double modification, l'une qui va dans le sens d'une extension de la portée des textes et l'autre dans le sens d'une restriction.
L'extension consiste à ne plus limiter aux seules traductions des actes officiels la liberté accordée aux législations nationales, mais à y englober désormais aussi les originaux desdits actes. Il faut en effet qu'un pays puisse prévoir, s'il l'estime opportun, la liberté de reproduction aussi bien des textes officiels dans sa langue que des traductions de textes officiels étrangers dont la connaissance peut être utile aux nationaux. Cette précision a paru d'autant plus s'imposer que l'Acte de Stockholm consacrant pour la première fois dans la Convention le droit de reproduction. Il convenait qu'il précise aussi les éventuelles exceptions à ce droit. L'article 2 alinéa 4 nouveau mentionne une de ces exceptions.
Mais à Stockholm, on a par ailleurs réduit la portée du texte de Bruxelles. Ce dernier visait aussi bien les traductions privées que les traductions officielles. Lors de la révision de 1967, on a estimé qu'aucune raison ne justifiait de priver de protection une traduction privée. En conséquence, la disposition conventionnelle la plus récente a prévu que la liberté laissée aux législations nationales ne concernerait plus que les traductions officielles, à l'exclusion des traductions privées.
Malgré tout, si l'on fait le bilan de l'Acte de Stockholm par rapport au bilan de l'Acte de Bruxelles sur le point qui nous intéresse, on peut dire que, alors que globalement l'Acte de Bruxelles n'accordait qu'une liberté restreinte aux législations nationales, l'Acte de Stockholm leur en octroie une qui est sensiblement plus large.
Lors de la Conférence de Stockholm, un autre point a été précisé, sinon dans le texte même de la Convention, tout au moins dans le rapport de la Commission qui, au cours de la Conférence, a eu à s'occuper de l'article 2. Il s'agit de savoir ce que l'on entend par texte officiel d'ordre administratif, expression dont on a vu qu'elle figurait déjà dans l'Acte de Bruxelles et qui a été maintenue dans l'Acte de Stockholm, malgré son caractère flou. La délégation du Royaume-Uni a demandé qu'il soit précisé dans le dit rapport que cette formule ne donnait pas aux pays unionistes la liberté de refuser la protection à toutes les publications gouvernementales, par exemple aux manuels scolaires.
Pour conclure sur le texte conventionnel, on peut dire que, pris au pied de la lettre, l'article 2 alinéa 4 permet aux pays unionistes de décider s'ils protégeront ou non les actes officiels. Comme l'écrit le Professeur RICKETSON (la Convention de Berne, p. 237), à propos de cette disposition : «L'effet de cette disposition est qu'on laisse à la législation nationale le soin de déterminer a) si les actes officiels doivent être protégés et b) dans l'affirmative dans quelle mesure ils doivent l'être» et il ajoute «Ceci autorise un haut degré de flexibilité permettant à chaque État membre de donner effet à ses vues différentes sur l'intérêt public. En conséquence, les États sont libres de laisser de tels textes intégralement dans le domaine public ou de leur accorder au contraire une protection complète comme oeuvres littéraires et artistiques ou de leur octroyer une protection limitée comportant de larges possibilités d'usage de la part du public».
Il est bien clair que, s'agissant des pays de l'Europe continentale dont il m'incombe de parler, leur tendance dominante consiste à opter pour une absence de protection des actes officiels.
Pourquoi adoptent-ils cette solution? La justification de leur attitude ne peut certainement pas être recherchée dans le fait que les actes officiels ne seraient pas aptes à remplir les conditions requises pour mériter la qualification d'oeuvre. En effet, rédiger une loi ou une décision de justice constitue un travail intellectuel qui débouche sur une création de forme tout à fait susceptible d'être originale. Si cependant ces oeuvres sont soustraites au droit d'auteur, c'est à cause de leur destination. Ces actes officiels, dans la mesure où ils vont dicter le comportement des citoyens doivent recevoir la diffusion la plus large possible. Or cette diffusion risquerait d'être freinée si ces actes officiels étaient le siège d'un droit d'auteur, c'est-à-dire s'ils ne pouvaient être reproduits qu'avec l'autorisation de leur auteur.
À vrai dire, la loi française ne comporte aucun texte qui s'inspire de la teneur de l'article 2 alinéa 4 de la Convention de Berne. Certes une disposition de cette nature figurait dans le projet de loi de Jean Zay de 1936 sur le droit d'auteur. Il constituait l'article 11 de ce projet. Mais ce dernier n'a jamais vu le jour et quand le législateur français a édicté la loi de 1957, il n'a pas jugé utile de reprendre l'article 11. C'est donc à la Doctrine et à la Jurisprudence qu'il incombe en France de régler le problème. Pour préciser la situation, le mieux semble être de s'inspirer du texte de la Convention de Berne, c'est-à-dire de voir successivement les solutions adoptées d'abord en ce qui concerne les actes officiels originaux puis en ce qui concerne leurs traductions.
a) À propos des actes officiels originaux, conformément à l'article 2 alinéa 4 de la Convention, on s'intéressera tour à tour aux textes d'ordre législatif, d'ordre administratif et d'ordre judiciaire.
1) S'agissant en premier lieu des textes d'ordre législatif, il est vrai que sous l'ancien régime et même au lendemain de la Révolution, la France a connu une période au cours de laquelle l'impression des lois faisait l'objet de privilèges. Mais la situation changea vite. Déjà en 1838-1839, RENOUARD, dans son Traité des droits d'auteur dans la littérature, les sciences et les beaux-arts déclarait que «les pouvoirs publics constitués pour gouverner non seulement dans l'intérêt général, mais aussi dans l'intérêt de chaque citoyen pris individuellement ne font pas acte de propriété lorsqu'ils créent et promulguent des lois». De son côté, le Tribunal de la Seine le 28 août 1862 a rendu un jugement dans lequel il était dit que «le demandeur ne saurait être propriétaire du journal officiel militaire dont le caractère officiel implique virtuellement la participation de tous à la publication des lois qui y sont contenues».
L'absence de protection concerne aussi bien le texte définitivement voté par le Parlement que les travaux préparatoires de la loi qui doivent être considérés comme faisant corps avec elle.
Nul ne peut prétendre à un monopole sur la reproduction de ces différents textes. Mais il faut dire que, bien entendu, rien ne s'oppose, en revanche, à ce qu'un droit d'auteur soit reconnu aux personnes qui se livrent à des commentaires de ces textes.
2) S'agissant en deuxième lieu des textes d'ordre administratif, la situation est plus délicate. Sont sûrement de libre reproduction les textes d'ordres administratif qui concernent l'application des lois, comme les décrets et règlements d'application des lois.
Mais, les fonctionnaires sont appelés à rédiger des documents qui n'ont qu'un emploi strictement interne à l'Administration. Il peut s'agir par exemple de notes de services. Ces dernières ne participent en rien de l'autorité de la loi. Il n'y a donc pas de raison de les faire échapper au droit d'auteur. Ce dernier existe, à n'en pas douter. La meilleure preuve de cette existence se trouve dans une loi du 17 juillet 1978 concernant notamment la liberté d'accès des particuliers aux documents administratifs. Cette loi prévoit que les documents ne sont communiqués que «sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique». Il peut en effet s'agir d'oeuvres couvertes par le droit d'auteur. En conséquence, l'exercice des droits à la communication exclut la possibilité de reproduire, diffuser ou utiliser, à des fins commerciales, les documents communiqués.
À vrai dire si, dans les cas ici envisagés, un droit d'auteur existe, il y a problème pour savoir qui en est le titulaire. On peut en effet hésiter entre octroyer ce droit au fonctionnaire auteur de la note ou à l'Administration pour le compte de qui il a rédigé le texte.
Cette question a fait couler beaucoup d'encre en Droit français. Le législateur ne l'a tranchée qu'à propos du droit d'auteur sur les logiciels. Dans l'article L. 113-9 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, il dispose que les règles de dévolution du droit d'auteur au profit de l'employeur formulées par l'alinéa 1 du texte s'appliquent aussi aux «agents de l'État, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif». C'est dire que, dans le cas considéré, la propriété littéraire sur le logiciel réalisé par le fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions de l'Administration existe mais qu'il appartient à l'Administration.
Pour le cas où l'oeuvre réalisée par le fonctionnaire est autre qu'un logiciel, la situation en France est régie par un avis du Conseil d'État du 21 novembre 1972. Dans cet avis, la Haute juridiction a posé en règle que l'Administration était investie des droits sur les oeuvres «dont la création fait l'objet même des services». Le texte qui dans la loi sur le droit d'auteur fait en principe naître le droit d'auteur sur la tête du salarié, c'est-à-dire l'article L. 111-1 alinéa 3 CPI, ne joue pas en ce cas. Quand ils ont accepté leurs fonctions, les fonctionnaires sont censés avoir mis leurs droits d'auteur à la disposition du service «dans toute la mesure nécessaire à l'exercice desdites fonctions». Ils ne conservent le bénéfice de leurs prérogatives que pour les oeuvres dont la création «n'est pas liée au service ou s'en détache», par exemple quand elle a été réalisée «en dehors du service» ou si elle est «sans rapport direct avec la participation de l'auteur à l'objet du service».
3) S'agissant en troisième lieu des textes d'ordre judiciaire, on admet, en France que, la justice étant rendu au nom du peuple français, les jugements et arrêts que rédigent les juges sont de libre reproduction.
Cependant ici aussi des cas délicats peuvent se présenter. Certes, nul ne doute que celui qui fait un commentaire de la décision est fondé à revendiquer un droit d'auteur sur ledit commentaire. Mais l'attention se porte sur la situation de la revue qui publie la décision. On doit admettre que le bref résumé qu'elle présente avant de reproduire la décision proprement dite peut laisser place à une protection s'il paraît témoigner d'une originalité par rapport à la décision elle-même. Il est permis d'en dire autant du choix des mots-clés utilisés pour caractériser la décision.
Telle était la situation en ce qui concerne l'original des textes officiels, il faut voir ce qu'il en est des traductions en France.
b) Le Droit français ne compte pas plus de texte de loi à propos des traductions d'actes officiels qu'il n'en compte à propos des actes officiels eux-mêmes. Il n'y a pas non plus de jurisprudence sur le sujet. Cependant la Doctrine pense qu'il faut tenir compte de la disposition de l'article 2 alinéa 4 de la Convention de Berne. On doit donc faire une distinction entre traduction officielle et traduction privée. Dans le premier cas, il n'y aura pas de protection par le droit d'auteur et la reproduction sera en conséquence libre. Dans le second cas, au contraire, il faudra respecter le droit commun de la propriété littéraire. En d'autres termes, la traduction ne pourra pas être reproduite sans l'accord de son auteur.
D'autres lois continentales récentes, sont, au contraire, nettement plus prolixes. Ainsi la loi espagnole sur le droit d'auteur du 11 novembre 1987 dispose en son article 13 que «ne sont pas objet de propriété intellectuelle les dispositions des lois et des règlements et les projets de texte correspondant, les décisions des organes juridictionnels et les actes, accords, comptes-rendus de débats et rapports des organismes publics, ainsi que les traductions officielles de tous les textes précités». Un autre texte étoffé sur le sujet est l'article 5 de la loi suisse du 9 octobre 1992. On y lit que «1) ne sont pas protégés par le droit d'auteur a) les lois, ordonnances, accords internationaux et autres actes officiels b) les moyens de paiement c) les décisions, procès-verbaux et rapports qui émanent des autorités ou des administrations publiques d) les fascicules de brevet et les publications de demande de brevet 2) ne sont pas non plus protégés les recueils et les traductions, officiels ou exigés par la loi, des oeuvres mentionnées au 1e alinéa». (v. aussi l'article 7 de la loi portugaise)
Sous réserve de ce que le sujet est traité par la loi de façon plus ou moins explicite, les dispositions précitées ont en commun de prévoir pour les actes officiels une absence de protection du droit d'auteur.
Deux types de lois nationales des pays continentaux comportent cependant des indications particulières qui concernent le statut des textes administratifs. L'une est la loi allemande qui, dans son article 5 alinéa 2, exempte du droit d'auteur parmi les actes administratifs ceux qui ont été publiés, dit le texte, «pour que le public en prenne connaissance». Mais la disposition légale précise que si la reproduction de ces textes est libre, elle devra se faire en respectant l'intégrité de l'oeuvre et en indiquant la source. (v. dans le même sens les articles 9 et 26 de la loi suédoise) Non sans raison, le Professeur COLOMBET observe que cette règle va de soi, mais que les manquements à la règle seront malaisés à sanctionner.
Le sort des actes administratifs est aussi étudié avec un soin particulier par la loi néerlandaise dans son article 11. L'alinéa 1 indique que les décisions administratives sont soustraites au droit d'auteur. Mais l'alinéa 2 nuance la solution quand il s'agit d'actes administratifs n'ayant pas le caractère de décision. En ce cas en effet le principe reste certes encore le même, à savoir l'absence de protection, mais il y a des exceptions possibles si, dispose le texte, «le droit d'auteur a été réservé soit d'une façon générale par une loi, un décret ou une ordonnance soit dans un cas spécial par une mention apposée sur l'oeuvre elle-même, ou par une décision prise lors de la publication». Par exemple un décret du 7 mai 1946 a réservé à l'État néerlandais le droit d'auteur sur les cartes et livres hydrographiques publiés par le Ministère de la marine ou en son nom.
On trouve une disposition du même genre dans l'article 11 de la loi luxembourgeoise.
1) Voyons d'abord quelle est la situation générale de l'éditeur au regard du droit d'auteur en France. À ce propos, certaines solutions sont nettes, mais les autres sont plus floues.
Parmi les solutions nettes, il en est qui sont favorables à l'éditeur et d'autres qui lui sont défavorables.
Les solutions favorables à l'éditeur consistent en ce qu'il peut être premier titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre soit s'il s'agit d'une oeuvre collective, soit s'il s'agit d'un logiciel créé par un salarié de l'éditeur dans l'exercice de ses fonctions. Il n'est pas douteux non plus qu'un éditeur peut toujours être cessionnaire des droits pécuniaires sur une oeuvre.
Les solutions défavorables à l'éditeur sont que, s'il est une personne morale, il ne peut aspirer à la qualité de coauteur d'une oeuvre de collaboration. D'autre part son activité ne créé aucun droit voisin à son profit.
La question plus délicate est celle de savoir si, quand il exerce son métier, l'éditeur est ou non susceptible d'être regardé comme un auteur. La Cour de Cassation a refusé le bénéfice de la propriété littéraire à l'éditeur d'une collection en déclarant que «l'édition d'une collection d'ouvrages présentant un certain nombre de caractéristiques communes telles que celles dont M. MAZENOD a conçu l'idée ne constitue pas en soi la création d'une oeuvre distincte de ces ouvrages eux-mêmes et dont l'éditeur pourrait être considéré comme l'auteur». (Com. 27 février 1990, RIDA juillet 1990 ndeg. 145 p. 331). Pourtant d'autre part l'article L. 112-3 CPI protège par le droit d'auteur les «auteurs d'anthologies ou recueil d'oeuvres diverses qui, par le choix et la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles». Il n'est pas exclu qu'un recueil réalisé par un éditeur puisse être regardé comme constituant une création intellectuelle par le choix et la disposition des matières. Ce pourrait être le cas, par exemple, dans un recueil de jurisprudence, des «chapeaux» et des mots clés.
2) Voyons maintenant comment, à propos des actes officiels, peut se poser le problème juridique de l'édition électronique. Il me semble qu'il ne se présente en droit français qu'à la double condition d'une part qu'on se trouve en présence d'un acte officiel protégé par le droit d'auteur, ce qui sera rare et d'autre part que cette propriété littéraire soit attribuée à titre originaire à quelqu'un d'autre qu'à l'éditeur. Je crois que cela ne peut concerner que le cas d'un commentaire de loi ou de jurisprudence réalisé par un auteur personne physique ou, dans l'ordre administratif, le cas d'un document qui, n'étant pas regardé comme appartenant par sa nature au domaine public (lois, décrets, arrêts) fait l'objet d'une propriété littéraire revenant selon les circonstances qu'on a décrites précédemment (~supra II, A2) soit à l'Administration, soit à un fonctionnaire.
Dans toutes ces hypothèses, un contrat d'édition sera conclu entre le titulaire du droit d'auteur et l'éditeur à propos de l'exploitation de l'oeuvre. Il faut voir en quoi le contrat d'édition ainsi conclu différera du contrat d'édition ordinaire quand il porte sur l'exploitation électronique. Il s'agit d'un sujet très ample et qui dépasse de beaucoup celui du statut des actes officiels. C'est pourquoi je me bornerai à me référer à ce propos à un rapport présenté lors du colloque mondial du l'OMPI sur l'avenir du droit d'auteur et des droits voisins tenu à Paris du 1e au 3 juin 1994. L'orateur était M. Hubert TILLET, Directeur juridique du Syndicat national français de l'édition. Son rapport était intitulé «l'édition à l'ère du numérique : acquisition et cession des droits électroniques» (~p. 137 et s. de l'ouvrage rendant compte de cette réunion). Sa conclusion était la suivante.
Il me semble clair que les éditeurs sont loin d'être démunis face au développement de l'exploitation électronique des oeuvres. Le dispositif contractuel existant constitue une base de départ solide pour leur assurer une sécurité juridique adaptée à l'ensemble des nouveaux modes de diffusion.
Cela suppose néanmoins que les éditeurs soient prêts à convaincre leurs interlocuteurs de la légitimité de leurs intérêts.
Vis à vis des auteurs, l'éditeur doit apparaître comme l'interlocuteur le mieux placé pour assurer l'exploitation de l'ensemble des droits électroniques sur une oeuvre.
Vis à vis des utilisateurs, l'éditeur doit mettre en oeuvre une pratique contractuelle protectrice de ses droits et une pédagogie du respect du droit d'auteur qui fait trop souvent défaut aujourd'hui.
«Vis à vis des pouvoirs publics, l'éditeur doit poursuivre une action de lobbying afin d'éviter que le progrès technique ne devienne un prétexte supplémentaire pour justifier les exceptions à la propriété intellectuelle, trop souvent revendiquées dans le cadre des missions d'intérêt général» (M. TILLET) avait évoqué dans sa communication p. 150 et s. des risques de ce genre susceptibles de découler de la réglementation sur le dépôt ou de la numérisation des livres par la Bibliothèque nationale).
Les propos qu'on vient de citer sont ceux d'un éditeur. On aimerait être sûr que ces opinions soient en tous points conformes à celles que pourrait exprimer un auteur personne physique s'il traitait le même sujet.
Étant donné que par ailleurs on a vu que les règles applicables aux actes officiels dans les pays continentaux n'étaient en général guère favorables aux auteurs personnes physiques, on peut craindre que l'irruption pourtant inéluctable de l'électronique dans ce secteur ne fasse qu'affaiblir encore un peu plus la conception humaniste sur laquelle se fondait jusqu'à présent la propriété littéraire dans les pays de tradition latine.