VERS LE PROJET CANADIEN D'AUTOROUTE ÉLECTRONIQUE
BERNARD TURCOTTE
VICE-PRÉSIDENT AUX SERVICES
CENTRE DE RECHERCHE INFORMATIQUE DE MONTRÉAL (CRIM)
Introduction
J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer: l'autoroute
électronique existe et ce, bien que la majorité de ses 20
millions d'utilisateurs persistent à croire qu'ils sont branchés
à un réseau qui s'appelle l'Internet. Nous devrons donc
continuer à compter sur le support des médias pour rectifier
cette situation et faire comprendre aux utilisateurs de l'Internet qu'ils sont
vraiment des utilisateurs d'une autoroute électronique.
Malheureusement, j'ai aussi une mauvaise nouvelle : la majorité des
sorties de ces autoroutes mènent directement sur des chemins de terre
à une voie. Plus spécifiquement, il est aujourd'hui possible de
rouler à 155 Mbps entre Montréal et Québec sans
problème mais pour passer du centre ville de Montréal à
une résidence privée à St-Hilaire, nous sommes
limités à .064 Mpbs. Fournir un accès bidirectionnel
à haute vitesse à une majorité de la population du
Québec et du Canada est un des défis que devra relever tout
projet d'autoroute électronique.
Mais sérieusement, quelle est la définition du terme
<<autoroute électronique>>? En fait ce terme, qui est
utilisé de façon générique et
généreuse par les médias depuis la dernière
année, n'a pas de définition formelle. Je vous en propose donc
une :
<<L'autoroute électronique, est une vision de ce que sera
l'inévitable fusion des technologies et services de communication,
dictée par la révolution numérique pour assurer le
transport de l'information dans une société ou le traitement et
le transport de l'information représenteront un élément
critique de l'économie et où ils entraîneront des
changements fondamentaux structurels fondamentaux>>.
3. Les services de communication d'aujourd'hui
Pourquoi portons-nous autant d'attention aux services de communication
d'information? La réponse est assez évidente, si nous pensons
à ce que serait notre société sans les journaux, les
revues, les livres, les services postaux, les services de messagerie, la
téléphonie, le FAX, la vidéoconférence, la
radiophonie, les télécommunications informatiques, la radio, la
télévision, la câblodistribution, les
téléavertisseurs (personnellement, j'en rêve
régulièrement)...
Les services de communication d'information sont des infrastructures critiques
au fonctionnement de notre société moderne. D'ailleurs
l'évolution même de notre société est directement
liée à l'évolution des services et technologies de
communication. Il est cependant clair, que ces infrastructures utilisent des
technologies distinctes et en grande partie incompatibles. Il est impossible
de recevoir un FAX sur un téléviseur ou de capter une
émission de télévision sur un bélinographe. De
plus, il est intéressant de noter que le nombre des services et des
technologies est très limité même si l'utilisation de ces
services est très répandue.
4. Définition de la fusion
Un seul média pour l'ensemble des services
L'autoroute électronique est le résultat de la fusion des
infrastructures et de l'intégration des technologies nécessaires
pour minimiser les investissements et faciliter l'accès à tous
les services. À titre d'exemple, il nous serait possible d'avoir
recours à tous ces services par l'entremise d'un ordinateur
branché à un seul fil.
5. La fusion est-elle possible?
La numérisation comme dénominateur commun: la roue
La capacité de traitement des ordinateurs, qui augmente d'un ordre de
grandeur tous les deux ou trois ans, jumelée à une baisse
constante du ratio prix/performance, facilite grandement la
numérisation, même en temps réel. Par exemple, plusieurs
journaux, revues et livres sont maintenant disponibles sous format
électronique (CDROM ou par réseau); le courrier
électronique compétitionne déjà les services
postaux; la téléphonie numérique est une
réalité d'aujourd'hui; les bélinographes ou ce que l'on
appelle plus communément le <<fax>>, transmettent
l'information sous format numérique; les applications de
téléconférence fondées sur les technologies
numériques, comme <<vidéovisite>>, sont
présentement en déploiement. De même, les enregistrements
de musique sur CDROM ou de films sur vidéodisques sont tous en mode
numérique. Bref, la révolution numérique nous offre un
dénominateur commun, un point de convergence pour tous les services de
communication actuellement disponibles. Les technologies de
numérisation sont donc l'équivalent de la roue pour l'autoroute
électronique.
L'ordinateur: le moteur
Dans le cadre de l'analogie faite avec l'autoroute, la roue représente
l'élément statique tout comme c'est le cas pour l'information
numérique dans le cadre de l'autoroute électronique. L'alter ego
du moteur, qui permet d'activer le potentiel de la roue, est l'ordinateur.
L'usager doté de ce qu'il convient de qualifier de poste de travail
multi-média peut, à volonté, numériser et
dénumériser l'information et ainsi avoir accès à
l'ensemble des services de communication dans un contexte intégré.
La transmission numérique: la route
J'espère vous avoir convaincu du fait que tous les types de service de
communication peuvent être assurés par voie numérique.
Cependant, si l'on veut être en accord avec la définition que j'ai
donné de ce qu'est une autoroute électronique, il faut pouvoir
disposer d'une capacité de communication numérique suffisante
afin d'assurer le transport de toute cette information SIMULTANéMENT sur
le même média. C'est exactement ce défi que la technologie
de communication par fibre optique a relevé. Celle-ci est le
résultat d'une magnifique intégration des technologies de
l'informatique, des émetteurs laser à basse puissance et du fil
de fibre de verre.
Aujourd'hui, cette technologie nous permet de transmettre de l'information
à une vitesse de 45 millions de bits par seconde sur un seul fil (elle
est dailleurs utilisée par la majorité des compagnies de
téléphone et de câblodistribution). Pour bien saisir ce
que cela représente, disons qu'un tel potentiel permet d'acheminer
environ 1 000 conversations téléphoniques
simultanément, une vidéoconférence bidirectionnelle haute
définition ou encore un million de mots écrits par seconde.
Il est important de noter que le potentiel de la fibre est limité
seulement par la capacité des éléments actifs
employés, soit les ordinateurs et les lasers. La technologie qui permet
un taux maximum de transmission de 45 mégabits sera bientôt
remplacée par une autre qui offrira un taux de plus d'un giga octet par
seconde, soit une augmentation de deux ordres de grandeur. Nous pourrons donc
assurer la transmission d'une immense quantité d'information en format
numérique entre deux points, ceci en temps réel. Cependant, nous
ne pouvons pas à ce stade parler d'autoroute, mais plutôt d'un
grand chemin entre deux points. Pour être vraiment utile et supporter ma
définition, la technologie requise devrait pouvoir assurer
l'échange de l'information numérisée aux vitesses
mentionnées, entre un grand nombre de points et ce, simultanément.
La commutation à haute vitesse et la gestion de la circulation
Conformément au critère exposé, nous devons maintenant
traiter de ce que l'on appelle le <<Bleeding edge of technology>>,
soit la technologie ATM (Asynchronous Transfer Mode ou Mode de transfert
asynchrone, MTA; ne pas confondre avec la technologie des guichets
automatiques). En production depuis déjà quelques années,
toutes les grandes compagnies de téléphone et de
câblodistribution s'affairent présentement à la
déployer.
Le commutateur ATM est la première technologie rendant possible
l'aiguillage dynamique de l'information numérique à très
haute vitesse. Ceci permet à chaque utilisateur, branché
à un tel réseau, de transmettre à tous les autres
utilisateurs et de recevoir de ceux-ci simultanément une immense
quantité d'information numérique en temps réel.
Dans un contexte de transmission de données numériques, la fusion
est donc aujourd'hui une réalité.
6. La fusion, est-elle désirable?
Le volet économique
Dans le cadre de la vision énoncée, un seul appareil pourrait
remplacer tous les équipements et intervenants nécessaires pour
offrir l'ensemble des services à moindre coût. À titre
d'exemple, 80 % des coûts de production des journaux/revues vont
à l'impression et à la distribution. Ces coûts pourraient
devenir un facteur négligeable dans le contexte de l'autoroute
électronique. Pour ce qui est des services postaux, on pourrait
entrevoir le remplacement du personnel de triage et des facteurs, les
coûts de transmission du courrier électronique étant
négligeable par rapport à ceux du timbre. Enfin, si la norme est
le courrier électronique, plus besoin de FAX, de matériel
d'impression ni de papier, ceci sans compter les économies en frais
d'interurbains.
Le volet environnemental
Nous avons la responsabilité de protéger l'environnement, que ce
soit pour nous, nos enfants ou les générations futures. Dans ce
contexte, l'analyse du dossier de l'autoroute électronique laisse voir
un bilan environnemental largement positif pour notre société.
Moins de papier veut dire moins d'impact sur notre environnement;
l'accès électronique aux services implique moins de
déplacements personnels et donc moins d'impacts sur notre environnement.
Le volet pratique
La gestion des adresses pour les communications courantes devient rapidement un
cauchemar qui pourrait être grandement simplifié par l'utilisation
d'une adresse électronique universelle. Les cartes d'affaires
d'aujourd'hui laissent voir le problème, en énonçant une
foule de coordonnées : nom, titre, compagnie, adresse au bureau,
adresse à la maison, numéro de téléphone au bureau,
numéro de téléphone à la maison, numéro de
FAX, numéro de téléphone cellulaire et adresse de courrier
électronique.
À titre d'exemple, j'ai eu la malheureuse expérience, l'an
dernier, de déménager nos bureaux et ma résidence
personnelle. Un an après, des documents importants me sont toujours
envoyés à mes anciennes adresses. L'idée de pouvoir
changer d'adresse physique sans avoir à changer d'adresse
électronique semble donc être une solution très
intéressante qui aurait permis d'éviter tous ces
problèmes.
Mais quelles seraient les applications pratiques de cette fusion des
technologies pour celui qui n'oeuvre pas dans le monde des affaires? Non
seulement y en a-t-il, mais elles sont aussi nombreuses. Pensons à la
possibilité d'accéder directement à des enregistrements
vidéo sur demande (ou presque sur demande) et au fait qu'il n'est alors
plus nécessaire d'aller au cinéma ou au club vidéo.
Citons aussi le télé-achat, les transactions bancaires à
la maison, l'accès plus facile à divers services pour les gens
qui ont de la difficulté à se déplacer, entre autres
grâce aux bibliothèques virtuelles et enfin l'accès aux
mêmes services pour les habitants de toutes les régions, comme le
fait de pouvoir consulter un exemplaire du Globe and Mail à Sept-Iles.
7. La fusion, est-elle pratique?
L'Internet: un essai pratique impliquant 20 millions d'utilisateurs
L'Internet est la preuve que l'idée de l'autoroute électronique
est viable. À ce jour, des services de courrier électronique, de
transfert de fichiers (texte, image, son, vidéo), de babillard
électronique (news, ...), de téléphonie et de
vidéoconférence sont offerts, en plus des applications dites
<<Mosaïque>> et des bases de données multimédia
Net-surfing.
Les projets de déploiement
Comme je le mentionnais dans mon introduction, nous disposons
présentement d'autoroutes électroniques entre les grands centres
canadiens. Un des grands défis à relever en vue de
réaliser une véritable autoroute électronique demeure la
mise en place d'infrastructures locales permettant un accès
bidirectionnel à haute vitesse à la majorité de la
population. Les compagnies de téléphone offrent un service
commuté, bidirectionnel et de basse vitesse. Les compagnies de
câblodistribution offrent quant à elles un service direct,
à haute vitesse et principalement unidirectionnel (pour les compagnies
de téléphone: Cirius; pour les câblodistributeurs: UBI).
8. La fusion, est-elle inévitable?
La nature humaine est naturellement friande de tout genre d'information et de
communication, que ce soit sous forme de journaux, de télégraphe,
de téléphone, de radio, de télévision, de fax,
d'Internet (20 millions d'utilisateurs) ou de babillards
électroniques.
L'autoroute électronique est la prochaine étape dans
l'évolution des systèmes de communication. Parmi les
éléments qui seraient en mesure de favoriser son
évolution, mentionnons l'existence de 150 millions d'ordinateurs de par
le monde et d'une infrastructure de fibre optique nationale déjà
disponible, ainsi que le déploiement actif de commutateurs ATM. On peut
aussi se référer aux projets d'élargissement de la
capacité de communication sur une large bande bidirectionnelle et
numérique en faveur des utilisateurs au foyer.
Mon analyse de la situation me porte donc à croire que la fusion est bel
et bien inévitable à moyen terme.
9. Le traitement et le transport de l'information représenteront des
éléments critiques de l'économie
Le marché pour le traitement et le transport de l'information pourrait
potentiellement atteindre 2 trillions de dollars au niveau mondial d'ici la fin
du siècle. Face à une telle donnée, notre défi
comme société est de décider si nous participerons
à ce marché à titre de clients ou à titre de
fournisseurs!
10. ... et entraîneront des changements fondamentaux dans la structure de
notre société.
Le déploiement d'autoroutes électroniques sera initialement
supporté par les services déjà utilisés, mais
ceux-ci ne pourront à eux seuls entraîner des changements
fondamentaux à la structure de notre société
d'aujourd'hui. Ces changements seront le résultat du
développement et du déploiement de nouveaux services capables
d'exploiter complètement le potentiel des autoroutes
électroniques. En d'autres mots, l'ensemble sera plus que la somme de
ses composantes. Je vous présente donc une liste de nouveaux services
qui pourraient facilement être mis de l'avant en utilisant les autoroutes
électroniques :
Vidéo sur commande;
Courrier électronique universel;
Commerce électronique;
Télétravail;
Environnements Informatisés de traitement médical à
distance;
Environnements Informatisés de formation à distance;
Les bibliothèques virtuelles;
Les journaux virtuels.
Le déploiement de ces services aura pour conséquences la
réduction du marché du papier, de l'imprimerie et du volume
d'activité des services postaux classiques, ainsi que des surplus
d'espace physique commercial, gouvernemental et éducationnel. Les
coûts de fonctionnement des gouvernements dimineront et l'on assistera
à l'émergence de compagnies virtuelles et à une
évolution dans le domaines de l'enseignement.
11. Conclusions
Il serait impossible d'imaginer que le Canada puisse être une puissance
économique internationale sans ses systèmes de transport
ferroviaire, routier et aérien. Pour participer à
l'économie électronique, le Canada devra avoir ses autoroutes
électroniques.
Si nous croyons qu'il est vital pour nous d'avoir des autoroutes
électroniques, nous devrons cependant revoir le cadre de la
réglementation canadienne des télécommunications pour en
faciliter et encourager le développement et prévoir des
mécanismes pour y assurer un accès universel, ainsi que la
confidentialité des informations. De même, il sera essentiel de
prendre les moyens qui s'imposent en vue d'assurer notre souveraineté
culturelle et d'éviter un certain aplanissement à ce niveau.
Tout doit être mis en oeuvre pour stimuler le déploiement des
infrastructures nécessaires à l'avènement des autoroutes
électroniques jusqu'aux foyers, le développement de nouvelles
applications de communication qui utiliseront le potentiel des autoroutes
électroniques ainsi que l'élaboration des contenus. Enfin, il
faudra promouvoir l'utilisation des autoroutes électroniques par tous
les secteurs de la société.
S.D. 08/03/94